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    Quand tout commence par la Mort | SOLO par Nina Andersen Sam 27 Juil 2019, 23:25
    Nina Andersen
    Nina Andersen
    Briseuse de Mythes







    QUAND TOUT COMMENCE PAR LA MORT

      Une journée de bon augure.

    Puisqu’elle venait de tailler ses fourches naissantes, il fallait maintenant nettoyer le sol où gisaient les morceaux de cheveux ayant jusqu’alors appartenu à son crâne. Le balai n’était pas très loin, comme Nina avait fait en sorte, intelligemment, de placer sa coiffeuse à côté du débarras.

    Elle s’était rapidement accoutumée à cet appartement au sein d’Altaïr. Bien entendu moins grand que son précédent logement, il demeurait bien agencé. La décoration lui avait coûté un salaire, mais au moins était-elle à son goût. La magicienne avait fait de ce logement peu cher et non meublé un petit havre de tranquillité.

    Du moins le pensait-elle.

    « NINAAAA ! »

    Martelant à la porte, la furie manqua de faire chavirer Nina de sa chaise ! Si cette dernière n’avait pas reconnu la voix portante et enjouée d’Ényo, sa coéquipière au sein de la guilde, elle serait sortie expliquer à l’énergumène frappeur quelques règles de politesse. Mais bon, en ce qui concernait la jeune femme aux couettes blondes, l’habitude était bien ancrée, maintenant...

    Alors Nina se contenta de se lever, sans pour autant se priver d’un long soupir fatigué. Amie ou pas, ce comportement était le summum du pénible...

    Ényo entra, rouge comme une tomate.

    « ... Tu as couru un marathon et la ligne d’arrivée est devant mon appartement ? demanda sarcastiquement Nina, la tranche de la porte encore en main.
    — N-Non, p-pas vraiment, mais c’est juste que... Dame Alyce... s’essoufflait la sprinteuse.
    — Moui ?
    — Elle va être tatiiiiie ! »

    Un ange passa.

    « C’est... bien ? Félicitations à elle ? »

    Nina savait pertinemment que son amie nourrissait une profonde admiration pour Alyce, la maîtresse d’Altaïr. À vrai dire, elles se connaissaient depuis longtemps et les faits d’armes de la plus âgée étaient indubitables. Nina ne l’avait jamais vue à l’œuvre, néanmoins avait-elle lu quelques papiers à son propos et ne serait-ce que ressenti son aura magique. Pour Ényo, qui y était très sensible, cela n’avait rien d’étonnant.

    « Tu ne fais pas le lien ? s’étonna la jeune femme en passant le cadre de la porte. Je te rappelle que Dame Alyce est la fille adoptive du précédent couple impérial. En d’autres termes, la sœur du roi Dimitriev, dont l’épouse Natalia va accoucher très bientôt. Et ils comptent se présenter quelques heures plus tard via une retransmission magique sur la place des Augures ! Il faut qu’on y aille !
    — Je ne savais pas que tu aimais à ce point les potins... Non vraiment, c’est la dernière idée qui me serait venue à la tête.
    — Pas de simples potins, la naissance du futur roi ou de la future reine. » corrigea Ényo.

    Il était étonnant qu’une telle annonce soit faite si peu de temps après leur dernière mission. En effet, un peu plus d’une semaine auparavant, les Crystal Claws, dont Nina et Ényo faisaient partie au côté de Loki, le Némédien jovial, étaient rentrés victorieux d’une mission qui leur avait beaucoup appris. Bel euphémisme pour signifier que les mages avaient mis en lumière un bien sombre complot planant sur Pergrande...

    Ényo était au courant. Malgré cela voulait-elle assister à cet événement, où l’enfant du couple impérial serait présenté au peuple dans tout le pays... Et la foule, parlons-en ; il n’en fallait pas plus pour rebuter Nina. Tous ces gens grouillants, serrés les uns aux autres, ôtant sans s’en soucier le moindre espoir de conserver un espace vital décent ! Et ce alors que la brunette se fichait bien de voir ce bébé. Connaître son existence était une chose agréable, grâce au minimum d’empathie qu’elle pouvait avoir pour un nouveau parent, mais guère plus.

    « En fait, ce n’est pas juste pour cela que je suis venue te voir. La discussion devrait être en fait un peu plus sérieuse... et elle te concerne toi, Nina. »

      Discussion.


    Rien que ces mots avaient réduit l’expression faciale d’Ényo à un air concerné. Nina commença à triturer les pointes souples de ses cheveux, sachant pertinemment autour de quoi cette discussion allait graviter. Puis elle se contenta de soupirer et dire qu’elle s’en doutait. Elle ne pourrait pas y réchapper à jamais, de toute manière.

    Une fois que l’étau fut bien resserré autour de la jeune femme, qu’aucune échappatoire ne lui restait, Nina n’eut plus qu’à finir de s’apprêter le temps que son amie appelle Loki, sans qui la discussion ne pouvait décemment pas avoir lieu. Dans sa tête, tout un tas de possibilités étaient analysées pour rien, car elle savait qu’elle ne pourrait pas adapter la vérité à sa sauce dès lors qu’elle promettait de la donner à ses coéquipiers. Levez la main droite et dites "je le jure", n’est-ce pas...

    Puis Loki arriva, serein. Le voir sourire aussi légèrement, naturellement, suffit à Nina pour retrouver une forme de sérénité appréciable. La chambre ne comportait pas beaucoup de chaises, en fait Ényo occupait la seule qui restait disponible. Alors Nina offrit celle de son boudoir au Némédien et s’assit sur le rebord de son lit fait au carré une fois qu’elle eût préparé un peu de thé. Darjeeling, évidemment, et très sucré cette fois. Les draps bleu pâle laissaient bien ressortir les ombres causées par les replis sous la main de la brunette.

    Par contre, en aucun cas Nina ne se sentait volontaire pour débuter la discussion. L’on ne saurait dire, pas même la plus concernée, si elle était du genre à subir ou non l’anxiété, d’ordinaire... Toujours était-il que ce n’était pas au prisonnier de commencer son interrogatoire.

    D’un accord tacite, Loki fut choisi pour endosser ce rôle. Il regardait Nina dans les yeux, car elle était trop fière pour les détourner, mais toute un monde de bienveillance émanait de ses deux iris mordorés.

    « Qui es-tu, Nina ? »

    Il devait plutôt vouloir lui demander qui elle était, mais inutile de faire la remarque.

    « J’étais déjà une magicienne indépendante avant d’arriver à Altaïr. Mais ma guilde était un peu... particulière. »

    Alors elle leur raconta, sans leur épargner de chapitre, et ils écoutèrent. Non pas en silence, au contraire ! Ils participèrent activement à l’histoire, témoignant leur intérêt pour les aventures de leur consœur et amie. Ils firent la moue lors du passage sur Lëen Everephia, feu sa professeure de violon. Rirent aux éclats lorsqu’elle leur parla d’Hendrik ou de son étonnante mission au côté de son ancien camarade Liesel, dans la ville de Véga.

    Pour la première fois depuis longtemps, Nina avait aimé parler d’elle. Voir les éclats d’émotions différentes dans les pupilles de Loki et Ényo, écouter leurs remarques tantôt attendries, tantôt outrées, au sujet de ses aventures et des gens qu’elle avait rencontrés... Tout cela lui donnait le sentiment de ne pas être seule, une chose qu’elle n’avait guère ressentie depuis la fin du Hvergelmir... Qu’elle leur conta, également, en arrivant à Asgard.

    L’intéressait ne se manifesta pas du récit, interdisant telles révélations ou faisant remarquer l’inexactitude des événements relatés.
    Finalement, lorsqu’elle conclut, Nina parla d’Æternitas, sa nature et surtout sa relation directe avec le Chrysokrone.

    « Tu veux dire l’organisation qui a détruit plusieurs villes dans tout Humanitas ?! scanda Ényo, interrompue par l’avis d’expert de Loki.
    — Les faits ont été contestés et le Conseil magique déclaré coupable, je te rappelle. Je ne les porte pas plus dans mon cœur que n’importe quel mouvement politique, mais il faut bien admettre qu’un sale coup leur a été joué... Pas que ça m’étonne.
    — Ah oui, c’est vrai... Mais ce sont bien eux qui siègent à leur place à la tête de toutes les guildes du monde depuis quelques jours, non ?
    — Eh oui. »

    Nina feignit l’ignorance avant de se résigner. Oh, elle s’était bien renseignée sur les derniers agissements du Chrysokrone, son ancienne organisation annihilatrice de mages noirs. De leur fait, toutes les guildes d’Humanitas pouvaient prendre le statut de guilde officielle, et la volonté individuelle d’éliminer les ombres de leurs ennemis par le meurtre était ainsi devenue un droit inaliénable.

    « Altaïr, tint à préciser Loki, a pu garder son statut indépendant grâce à Dame Alyce et bien sûr l’intention première de Dame Ceridwen... Notre but n’a jamais été d’éliminer tous les mages noirs, mais de manifester notre indépendance vis-à-vis du conseil pour toute raison que nous pouvons croire valable. Et ce conseil chrysokronal n’a pas de raison de nous en priver. »

    Voyant que Nina regardait le Némédien d’un air autant surpris qu’admiratif, Ényo expliqua que ce charmant jeune homme était le petit fils d’un grand pontife d’Altaïr, Lug de Némédia, lui-même adjoint à Dame Alyce et siégeant directement à la Table ronde du Palais. Le lien de causalité n’était pas nécessaire, mais en l’occurrence, Loki s’y connaissait beaucoup en géopolitique internationale.

    « Je comprendrais que vous me jugiez pour les actes que j’ai commis. Bien sûr, je ne regrette pas tout. Pour ainsi dire, s’il me fallait tuer de nouveaux tous les mages noirs morts de ma main, je le ferai pour la plupart d’entre eux. Mais pas tous... Et c’est cela, cet extrémisme dont je ne veux plus, qui m’a poussée à quitter ma guilde et l’organisation. »

    Marquant une légère pause, elle ferma les yeux pour boire une gorgée de thé, feignant l’indifférence mais son pied battant l’air sous la table parlait de lui-même.

    « Toujours est-il que je comprendrais votre réticence à me garder parmi vous maintenant que vous savez à propos du sang sur mes mains... et du danger de la mission qui m’incombe au côté d’Asgard. »

    Ényo provoqua un nouveau cataclysme sonore en frappant des paumes sur la pauvre table qui n’avait rien demandé. Levée d’un bond, elle plantait son regard électrique dans celui, perplexe, d’une Nina reculant lentement.

    « Tu as raison. Je ne te pardonnerai jamais de nous avoir caché ça. Tu es une meurtrière... »

    Bien que Nina ait anticipé que cette réponse puisse lui être donnée, en saisir autant la violence et la dureté dans le comportement de la jeune femme l’ébranla. En fait, même Loki regarda dubitativement son amie.

    « Alors si tu veux te racheter, viens avec nous pour l’apparition du couple impérial ! Si tu refuses, tu seras privée de dessert.
    — Ah, que, euh... Hein ? D-D’accord... » bafouilla Nina, ses capacités cérébrales embrouillée par l’abrupte volte-face d’Ényo.

    À côté, Loki éclata d’un rire franc, réveillant Igni du mauvais pied – si l’on pouvait dire. Le slime se jeta sur son visage pour l’étouffer dans l’hilarité générale, dont Nina elle-même était l’origine. Ce qui devait être une discussion sérieuse avait fini en séance de pomponerie où Ényo s’amusa à faire des couettes à tout le monde !

    * * *

      Nouveau-né.


    Nina avait bien évidemment défait les petits balais brosses qui ornaient son crâne, plus rapidement encore que Loki – le bougre s’étant bien amusé à se travestir avec son maquillage... Le trio se rendait alors sur la place des Augures d'Alkonost. Beaucoup de monde avait déjà pris la même initiative, les contraignant à laisser passer un yawl ou deux avant de pouvoir monter à bord. La densité de population croissante au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient du quartier de Barastyr donnait littéralement des boutons à Nina, qui se grattait le cou de temps à autres.

    « Tu es sûre que ce n’est pas plutôt un moustique ? » taquinait Loki.

    Tout ce qu’il obtint en retour fut une moue dépitée !

    Barastyr était le quartier officiel de la ville, et la place des Augures s’étendait sur de longs mètres face au palais administratif. Le sol était majoritairement constitué de marbre blanc et de dalles en pierre de la même couleur. Déjà l’ascenseur chargé de monter les piétons au sommet de la butte était-il blanc... Et quand ce n’était pas cela, le rose pâle ou la tuile d’autres bâtiment offrait une variété de couleurs très angéliques.

    Loki, érudit qu’il était, expliqua à Nina que tout n’était pas cher pour rien, à Alkonost. Les impôts municipaux élevés – dont les mages étaient exemptés dû à leur statut – permettaient un entretien permanent et même parfois magique des eaux et des rues. En tout cas pour la plupart des quartiers de la ville... Nina comprit qu’il faisait allusion à Wasilla, le quartier modeste, dont la zone résidentielle était bien moins prise en charge que sa jumelle forestière.

    Malheureusement, sur la place des Augures où ils arrivèrent enfin, l’effet grégaire semait derrière lui bien des déchets, malgré les poubelles présentes régulièrement autour de l’hémicycle.

    Il était quatorze heures passées. La diffusion du couple impérial présentant son bébé allait bientôt avoir lieu, et la foule s’était massée autant que possible autour de l’écran holographique géant au cœur de la place. Nina avait décidé de s’écarter un peu, histoire de respirer convenablement et qu’aucun corps étranger ne la côtoie de trop près, ce qui, là où se trouvaient Ényo et Loki, était impossible.

    Ainsi s’était-elle posée contre un muret entre une boulangerie et un salon de coiffure, Igni posé sur son épaule. De plus en plus le petit familier sortait-il de son pot, préférant voler ou se déplacer sur le corps de Nina. D’autant qu’en ville, contrairement au vide sidéral d’Æternitas, il pouvait se faire marcher dessus à tout moment... Et puis de cette hauteur, il voyait bien tout ce qui se passait. Même l’écran géant lui était visible, quand bien même l’on n’en voyait que les deux tiers supérieurs.

    Mais... Quelque chose la perturbait. Depuis qu’elle avait appris que cet événement avait lieu, quelque chose en elle la démangeait, comme un mauvais pressentiment... Pourtant, tout le monde semblait heureux, ou au moins enthousiaste – les autres ne s’étant évidemment pas déplacés, préférant ou non regarder la diffusion sur poste personnel. Le ciel était bleu, entouré d’aucune aura néfaste, tout comme chacun des individus présents en-dessous. Nina soupira, lasse. C’était juste son malaise en foule qui parlait...

    Elle se rasséréna alors en voyant enfin le couple impérial apparaître à l’écran. Mais...

    Ils ne bougeaient pas. Et l’image crépi-...

      Une vie...


    Quand le ciel tonna. Aucun nuage à l’horizon, il luisait toujours de son paisible azur mais... Mais une explosion retentit au cœur de la place, balayant toute personne à proximité. En blessant, en tuant, vu le sang expédié. La silhouette d’un homme remplaça cette vision par une nouvelle horreur : il était blanc, blanc comme ses cornes étaient noires. Deux cornes, de chaque côté de sa tête, ébène, tordues, pointues. Deux ailes, noires. Pour en avoir, Nina voyait qu’elles n’étaient pas à lui, qu’il ne se les était pas appropriées.

    Non, car c’était un humain, un homme presque âgé, dont le visage lugubre trônait au-dessus de la foule sur la place des Augures. Son front était rompu par un trou béant laissant voir, et de loin, le reflet d’un cristal rouge sang. Ses veines bleues ressortaient depuis sa peau translucide sur l’ensemble de son visage et ses yeux...

    ♦
      Le monstre.


    Les hurlements fusèrent, les plus aigus des femmes ressortant plus encore. La milice présente absolument partout tenait le monstre en joue, mais chacun de leurs projectiles fut repoussé par une barrière écarlate. Et tous ces cris se décuplèrent lorsque l’alarme d’extrême urgence sonna, résonna, enveloppant Alkonost dans une complainte lourde. Le démon le montra, ensuite. Il montra le contenu du linge qu’il tenait dans ses mains.

    Mêlé à l’horreur générale, les cris du nouveau-né apparu dans ses bras ne servaient à rien. Un petit être, encore rose, comme à peine né.

    « C’EST L’ENFANT DE LA REINE !? » hurlèrent plusieurs voix.

    Puis le monstre parla.

    « Tremblez, sujets de Pergrande ! Tremblez, sujets du monde ! Tant que vous êtes encore vivants, tremblez, car désormais rien, non, rien n’assurera plus votre sécurité ! Dites adieu à ce royaume impur et préparez-vous à vivre... »

    Le bébé dans sa main grimpa les airs d’un mètre lorsque le monstre leva les bras.

    « Un véritable cauchemar ! »

    Nina, comme bien d’autres, ne purent soutenir la vue qui s’imposa à eux. Cette vue du nouveau-né à la nuque brisée, le crâne tombant sans plus aucun os pour le retenir.

    Elle vomit.

    D’autres s’étaient évanouis.

    La milice hurla, leurs mages et certains de l’assemblée donnèrent tout pour arrêter ce monstre qui désormais jetait des orbes de feu dans la foule. Ils donnaient tout, oui !

    Mais pour rien. Le monstre évitait tout, riant aux éclats.

    Et le corps du bébé tomba.

    Quand une bombe explosa, répandant une poubelle et son contenu dans son souffle. C’était à l’autre bout de la place ; reprenant ses esprits, Nina s’y rua, passant par les ruelles en contrebas. Elle slaloma entre les quelques immeubles séparant place et falaise et Igni la suivait, terrifié. Lorsqu’elle s’arrêta brièvement, à l’angle d’une rue donnant sur la place des Augures, elle vit les mages présents se battre. Mais le monstre tenait toujours...

    Puis elle sentit un flux æthéré un peu plus loin et se précipita pour l’intercepter. Il émanait d’une silhouette encapuchonnée. C’était sûrement le coupable de l’attentat...

    « Reviens ici, dammaz... Igni, part à sa poursuite et essaie de le bloquer ! » jura Nina.

    Le petit élémentaire s’exécuta sans sourcilier, s’enflammant de plus belle. La magicienne pestait ; elle ne pouvait pas déployer ses ailes ici... Quoiqu’avec la calamité en train de se dérouler, personne ne ferait attention. Alors elles apparurent, blanches, immaculées. Rasant presque le sol, Nina suivait la piste æthérée d’Igni. Celle-ci menait vers l’ascenseur est, proche du palais de justice, mais la silhouette ne comptait pas l’emprunter. Plutôt, elle sauta, longeant la cascade... Mais elle ne se téléporta nullement, permettant à Nina de l’intercepter.

    La chute fut rude, car le fuyard se débattait, mais en quelques battements d’ailes la magicienne se redressa et asséna un violent choc électrique à cet ennemi inconnu. Nina entendit son cri et le vit disparaître dans l’écume dense, au plus bas de la cascade... et n’hésita pas à l’y suivre dague en main.

    Quand elle remonta, quelques mètres plus loin, une large traînée rouge suivait sa piste vers la berge la plus proche. Elle tenait entre ses mains la silhouette et lui enleva sa cape, dévoilant un jeune garçon. Il devait à peine avoir quinze ou seize ans. Évanoui à cause de la dague qu’elle lui avait planté dans la chair et de l’eau dans ses poumons, elle put l’observer un peu mieux.

    Sur son front semblait se développer le même cristal que celui du monstre... Une prunelle rouge, comme un œil carré et fait de verre. Juste autour, la peau semblait creuser l’os frontal et se recroqueviller sur elle-même, laissant une marque géométrique ne pouvant tromper sur la similarité avec le monstre. L’attentat à la bombe... Cela ne pouvait être que lui.

    Alors Nina s’empressa de le fouiller cependant qu’Igni, étiré en un large anneau, s’affairait à sécher sa maîtresse. Le jeune homme transportait bien peu de choses, si ce n’étaient deux petites sphères métalliques. La jeune femme les mit de côté. Ce qu’elle observa ensuite la fit reculer...

    Les mains du garçon se couvraient d’écailles anthracites, dures comme la pierre, remontant progressivement sur les avant-bras... À n’en point douter, ce cristal leur avait été donné ou posé et constituait l’origine des mutations. Et visiblement, des pouvoirs qui ne tenaient en rien de la magie blanche...

    En regardant vers le haut de la cascade, Nina espéra que ses coéquipiers aillent bien... Et que le monstre soit mort sans en avoir trop causé.

    * * *

    « Je dois trouver Dame Alyce ! Ou au moins Cybèle... Raaaah si seulement grand-père était là ! pestait Loki.
    — Elle est sûrement au Palais ! Et tu ne crois quand même pas que l’autre va pointer le bout de son nez pour si peu ! »

    Ényo ne se battait pas contre le monstre, préférant mettre en sécurité les nombreux blessés que comptait cette place des Augures dépeuplée. Loki, lui, faisait danser ses matérias. Trois volaient autour de lui, bleue, rouge et verte. En projetant la bleue sur l’adversaire commun, il espéra que le déluge qui en sortit l’entoure et l’étouffe, malheureusement le monstre évitait chacun de ses jets. Il se sentait si inutile... Comme tous ceux qui essayaient d’atteindre la créature, riant gaiement.

    Sa transformation avait beaucoup progressé en pourtant peu de temps... Désormais, il ressemblait trait pour trait à une goule cornue et décharnée, avec presque plus rien d’humain. Le cristal démoniaque avait envahi son front à tel point qu’il devait ronger son cerveau de l’intérieur.

    La place des Augures était un champ de bataille à présent. Ce qui pouvait brûler y brûlait ; des morts tachetaient la blancheur de son marbre... Et rien ne pouvait toucher ce monstre pour l’empêcher de nuire.

    Pourtant...

    Lorsqu’une aura magique colossale se dressa, laissant apparaître une femme aux longs cheveux cendrés, il s’arrêta. Net. Alyce Aleïev était là. Son épée et son regard sans pitié l’accompagnaient, aussi tranchants l’un que l’autre. Le monstre la fixa, car il la reconnaissait, et que c’était bien la dernière personne qu’il voulait voir ici. Il savait pertinemment qu’il ne repartirait pas indemne d’un affrontement avec un maître de guilde, et encore moins celle-là, dont il savait la haine pour lui désormais.

    Au premier coup d’estoc, un rayon et son intense lumière enrobèrent la place et quiconque s’y trouvait, éblouissant tout œil ouvert.

    La première à se rendre bien compte de la situation et rouvrir ses paupières fut Ényo.

    « Il a... disparu... ? »

    Alyce baissa son épée et fixa le ciel. Jamais Ényo, malgré son ancienneté, Loki ou n’importe quel autre membre d’Altaïr n’avait ressenti cela émanant de leur chef.

    * * *

      Pourquoi maintenant ?


    Quelques jours avaient passé, une poignée tout à peine. Pourtant, le drame de la place des Augures – qui désormais porterait comme nom cette funeste date – n’avait été oublié de personne. Des échos que Nina avait eus, le couple impérial était inconsolable, mais également dans une colère noire. Une réunion au sommet se tenait ce jour-là à la Table Ronde afin de statuer sur la reformation d’une vieille unité dans l’histoire de Pergrande.

    Les Canta Dovahe, un groupe de cinq chevaliers forts et preux censés protéger le pays, allaient renaître des cendres les ayant évincés sous le règne de Dimitriev II.

    En pensant cela, Nina balaya des yeux ce qui restait de la majesté d’un lieu brûlé, détruit et souillé. Les pierres blanches de la place des si mauvais Augures étaient ou noires de suie, ou rouge de sang. À penser que les cendres ayant laissé ces traces eurent constitué des êtres humains... Sûrement un père de famille et ses enfants, une patronne au bord du gouffre ou un simple lycéen s’était-il trouvé là où elle posait ses pieds.

    La jeune femme n’était pas à cet endroit par plaisir, bien au contraire. Seulement, les autorités et l’armée avaient établi une zone close, et les responsables de l’enquête s’y trouvaient le plus souvent. Comme c’était elle qui avait capturé le terroriste, vivant qui plus est, l’inspecteur s’était arrangé un petit rendez-vous dans son planning serré.

    Dame Alyce, la maîtresse d’Altaïr, était présente également. Finalement, les deux femmes répondirent ensemble à presque les mêmes questions. Puis Nina eut à donner son avis sur le cristal ornant le front des deux criminels.

    Asgard et elle s’étaient mis d’accord au cours d’une discussion, le soir de l’événement, pour combler une nuit blanche. Nina s’était retrouvée dans son esprit, pour la première fois depuis un bon moment, et ils avaient discuté pour en venir à une seule et même conclusion : c’était une œuvre démoniaque. Une magie noire très puissante empreinte d’énergie maléfique qu’un Ange ne pouvait confondre.

    Prétextant une affinité toute particulière avec les énergies non-humaines, Nina avoua plus tard la vérité à Alyce sur le chemin du retour. Loin d’être choqué, cette dernière avoua qu’elle avait su dès le départ que Nina avait quelque chose de différent en elle. Sans pour autant s’être douté une seule seconde que cela pût être un morceau de l’âme d’un Ange !

    Impossible de passer à côté des cernes plombant les yeux d’Alyce. Comme si une certaine proximité s’était déjà tissée entre les deux femmes, la maîtresse de guilde avait raconté ses nuits blanches au Palais, à tenter de réconforter ses parents, participer aux réunions, aux grands projets de sécurité... tout en s’occupant d’Altaïr. Nina ressentit qu’elle avait besoin de parler de tout cela, alors elle écouta, sans se prétendre capable de donner le moindre conseil.

    En longeant le quartier d’Æfsati pour éviter le monde et rejoindre la guilde, Alyce fit une remarque à laquelle la brunette ne s’attendait pas vraiment, du moins pas à ce moment-là.

    « Tu as rejoint notre guilde il y a environ deux mois et déjà accompli des faits exemplaires... »

    À brûle-pourpoint, Nina ne sut pas de quoi la femme parlait. Des faits exemplaires oui, mais de quel ordre ? Si elle avait pu arrêter le poseur de bombes, l’explosion avait tout de même eu lieu et des gens étaient morts... Beaucoup de gens perdus car personne n’avait pu arrêter le monstre avant qu’elle n’arrive. À moins qu’elle parlât de sa découverte du complot à l’université d’Alkonost ? Mais Ényo avait participé également.

    Cela ne pouvait signifier qu’une chose...

    « Tu as du potentiel et j’ai besoin de toi, Altaïr... Non, le pays a besoin de toi, Nina. Si tu passais le rang S, je pourrais t’assigner à des missions bien plus importantes, mais également plus dangereuses. Loki et Ényo sont déjà des mages de rang S, alors je me demandais si tu me ferais l’honneur... de passer l’examen. Le plus tôt possible. »

    Bien entendu... L’indépendance d’Altaïr et son rapport au couple impérial lui valait bien des dérogations, mais il demeurait certaines règles que cette guilde elle-même ne pouvait pas ignorer.

    Le rang avait beaucoup d’importance pour les mages de guilde. Pas forcément pour leur ego mais en tant qu’outil de travail. Il permettait d’attribuer et accepter des missions qui, normalement, ne risquaient pas de coûter la vie à un magicien apprenti, par exemple. Mais le rang S, lui, était spécial. Les autres n’étaient là que pour donner une idée de la puissance et de l’expérience de chacun, tandis que celui-ci précisément avait une valeur. Une reconnaissance. Et les guildes pouvaient ainsi prendre beaucoup plus de risques en leur proposant des missions de valeur.

    Nina se savait apte à passer une telle épreuve, à la réussir même. Sur ce point-là, elle avait confiance en elle. Ce qui l’inquiétait vraiment était plutôt le moment choisi par Alyce pour lui faire cette proposition. D’après elle, Nina devrait combattre un mage de rang S appartenant à la guilde, puis serait organisée une expédition sur le Mont Himlen, au nord-ouest de la péninsule du Dragon. Elle devrait y protéger un magicien de bas rang tout au long de la descente... qui serait semée d’embûches.

    Aurait-elle bien le temps, avec tout ce dont elle devait s’occuper, de superviser cette épreuve ?

    « Et... chuchota Alyce, on ne peut plus sérieuse. Tu dois savoir que la guerre entre Fiore et Stella a officiellement cessé depuis la mort de Yakmund, il y a peu de temps.
    — Q-Quoi mais... »

    Comment avait-elle su que ce sujet intéressait Nina, qu’elle était liée à tout cela ?!

    « Je connais le nom d’Andersen, c’est une vieille histoire dont les échos ont atteint même Pergrande. Alors les vieux dossiers m’ont renseignée. Je suis désolée d’avoir recherché des informations sur toi sans t’en aviser, j’espère que tu me le pardonneras. Mais je voulais en venir à un point important : je ne crois pas à cette paix. Yakmund avait des enfants et des sous-fifres, laissant fort à penser qu’un successeur mijote un plan pour s’emparer du siège. »

    Nina écoutait, sourcils froncés, intéressée. Elle se demandait où Alyce voulait en venir. Ou plutôt... Quel rôle la maîtresse d’Altaïr voulait-elle lui donner à l’avenir ? La brunette espérait qu’il ne s’agirait pas d’un plan en opposition avec sa mission asgardienne...
    Plutôt que se taire sur un sujet si important, elle préféra être directe, comme elle savait bien le faire.

    « Qu’attendez-vous de moi, exactement ?
    — Te voir grimper les échelons d’Altaïr. Te voir grandir et devenir plus forte, car tu en auras besoin à l’avenir. Que ce soit la menace qui plane sur Pergrande en ce moment, ou... le destin qui t’attend plus tard. »

    La femme retrouva une voix plus douce, un sourire chaleureux.

    « Je te ferai rencontrer ma mère, Ceridwen, très bientôt... En attendant, reprenons notre marche. Je dois t’assigner un adversaire pour l’épreuve. Prépare-toi bien, car elle aura lieu dans deux jours ! »

    * * *

      The Lancer


    C’est ainsi que, deux jours plus tard, Nina se trouvait dans la grande arène d’Alkonost. Le combat avait été fermé au public pour des raisons de sécurité, ce qui n’était pas le cas d’habitude. De toute façon, peu de gens auraient voulu venir... Seuls quelques membres d’Altaïr vinrent assister au spectacle.

    Le sable craquait sous ses chaussures. Elle tâtait le terrain.

    Car face à elle, Nina savait que son adversaire était en pleine confiance. Ce n’était pas la première fois qu’Ényo se battrait ici, après tout.

    « Est-ce que vous êtes prêtes, les filles ? » demanda Alyce, prête à abaisser son drapeau.

    Et en chœur, elles répondirent...

    « Oui. »

    Dans un tourbillon d’air et de magie, une lance apparut dans la main d’Ényo. Elle l’appela la Lance du Dieu de la foudre.

    ♦
      Lance du Dieu de la foudre


    Nina ne s’attendait pas à ce que son adversaire s’équipe d’une arme possédant les mêmes pouvoirs qu’elle. Combattre le feu par le feu était le dicton de la jeune femme, visiblement... Alors Nina elle-même devrait l’utiliser à son avantage.

    La première à s’élancer fut Ényo. D’un bond, elle joignit les airs avant de les fendre d’un piqué meurtrier. Aucune magie ne se dégageait de l’arme a priori, mais Nina ne se laissa pas duper et évita par l’arrière. Le sol explosa, crépitant, électrique ; Ényo n’était déjà plus là lorsque la poussière retomba.

    La brunette dégaina toutes ses épées, les faisant voler en auréole dans son dos. Deux dagues l’accompagnèrent dans ses mains et elle se tourna. Ressentir les mouvements exacts de la lance était simple, aussi Nina songea qu’elle n’aurait pas de mal à voir les coups arriver. Il ne fallait pas baisser sa garde pour autant...

    Quand une lame tranchante vint s’abattre dans son dos, frappant les épées, celles-ci se mirent à danser. Dans leur ronde, elles emmagasinaient de l’énergie et lorsque Nina injecta sa magie au centre, un immense rayon électrique fendit l’air, grossissant progressivement, encore et encore.

    Elle avait fait mouche. Mais loin de se laisser effrayer par une chute, Ényo se releva d’un bond habile et attaqua cette fois par l’avant. Il semblait qu’elle allait donner un coup vertical, mais Nina remarqua que ses yeux déviaient un peu sur la gauche, alors elle appela une épée à elle pour protéger son flanc.

    La lame intercepta sa consœur et, entre les doigts de Nina, une boule d’électricité se forma. La brunette l’abattit au sol, provoquant une explosion de foudre à plusieurs mètres de rayon, malheureusement... Le souffle dansait autour de la lance d’Ényo, dont les sceaux l’encerclant s’agitaient, claquant entre eux, brillants d’un bleu puissant...

    Et un nouveau rayon frappa, mais Nina cette fois-ci, qui ne parvint à l’éviter. Propulsée à l’autre bout de l’arène, elle cracha du sang en percutant le mur arrondi. Son corps vola quelques instants avant de rencontrer le sol, ses épées y dormant déjà... Son adversaire ne plaisantait pas.

    Mais si elle ne se relevait pas dans les secondes suivantes, Nina serait déclarée perdante. Alors que si peu de temps s’était écoulé... Si peu de temps pour faire ses preuves...

    En face, Ényo brisait une à une les armes de Nina d’un simple coup de lance. D’abord une épée, puis l’autre, tout en avançant vers elle. L’héritière d’Asgard souriait.

    « Aura : Brister. »

    Lorsqu’elle se releva, essuyant le coin de sa bouche et fixant son amie dans les yeux, Nina perturba l’æther autour d’elle. Un souffle l’entourait, crépitant, tranchant. Son magnétisme amenait à elle chaque débris de ses armes, les faisant voler dans une tornade électrique. L’atteindre au corps-à-corps serait désormais ardu... Mais elle avait encore Ragnell.

    « Tu utilises si rarement cette épée que je l’avais presque oubliée ! s’écria Ényo, guillerette. J’imagine que je vais devoir faire attention ! »

    La poignée cristalline de Ragnell en main, Nina fusa sur son adversaire, prête à lui asséner un coup horizontal. Dans un échange incessant, impitoyable, où la moindre erreur d’inattention d’Ényo lui coûterait du sang et de futures cicatrices, aucune des filles ne semblait prête à abandonner.

    « Foudre du Jugement ! » cria finalement Ényo, prête à mettre fin à cette danse trop répétitive à son goût.

    Son prochain coup laissa une traînée d’éclairs dans son sillage, forçant Nina à reculer pour ne pas être touchée. Mais ils la suivirent, comme attirés par elle, et même courir ne sauva pas la brunette de leur assaut. Un genou au sol, Ragnell comme appui, Nina décida qu’elle pourrait le faire... Qu’elle pourrait s’envoler : parmi tous les spectateurs, elle savait que personne ne la jugerait.

    Déployant ses deux ailes blanches, sous les murmures et les exclamations de surprise, Nina rejoignit les cieux en un battement puissant. Mains écartées, elle commença à emmagasiner de l’énergie en un point précis. Ényo, en bas, savait ce qu’elle s’apprêter à créer... Son Rafeind préféré. Mais la présence de la sphère électrique croissant encore et encore, jusqu’à masquer la présence de Nina, l’empêchait d’attaquer en hauteur. Toute foudre envoyée serait absorbée, et alors il ne lui resterait que peu de place pour éviter l’impact de ce météore crépitant...

    « Désolée, Ényo, mais je ne peux me permettre de perdre ! »

    Au lieu de frapper le sol avec force, le Rafeind se mit à tourner, intriguant Ényo qui pensa à un tir lobé. Alors elle se prépara à esquiver mais...

    « Bjelke ! »

    Un énorme rayon électromagnétique fondit droit sur elle. Il était large comme la sphère était dense, et sa puissance s’imposa à la lancière qui para de son arme. Ses pieds, tentant de la maintenir sur place, creusaient des tranchées dans le sol sablonneux... Alors elle essaya d’absorber l’électricité. Encore, et encore... Mais il y en avait tellement !

    « Raaaaaaaaaaah !! » hurlait-elle, comme pour se donner la force de résister.

    Soudain, les sceaux de la foudre tournant autour de sa lame se brisèrent sous le coup de la surcharge et, projetée au loin, Ényo roula. Le rayon se fit de plus en plus petit, rendant à l’air tout son espace pour redevenir la petite brise qu’il était.

    Et Nina tomba au sol, épuisée. Ses ailes disparurent le temps de reprendre son souffle et son regard se porta sur son amie, à l’autre bout de l’arène. Elle ne bougeait presque plus... Essayait à peine de se relever. Mais c’était impossible.

    « Je déclare Nina vainqueure de ce combat ! » scanda Alyce, relevant son drapeau du côté où se trouvait la magicienne encore debout.

      Première victoire


    Loin d’en être à sa première défaite, Ényo se releva finalement, un peu amochée mais entière. Elle tenait même debout ! En serrant la main de son adversaire, elle lui offrit ses félicitations et s’excusa pour avoir fait couler son sang, mais Nina hocha la tête : tout allait bien. La chute d’adrénaline offrit un éclat de rire aux deux jeunes femmes qui se rendirent, satisfaites, auprès d’Alyce.

    Comme Nina avait pu l’espérer, aucun des quelques membres d’Altaïr présents ne l’avaient questionnée sur la nature de ses ailes d’Ange. Elle fit part de son soulagement à Ényo et Alyce, mais la première passa sa main derrière sa tête.

    « Ne parle pas trop vite...
    — Oh mon Dieu c’était superbe ! Tu es un Ange, Nina ? Je ne savais pas qu’il en existait sur Humanita- oh ! Je ne me suis pas présentée, quelle impolie je fais... Oh, ne sois pas trop sévère avec moi s’il te plaît, hahaha ! Je suis Maëlina Anebelle Lora Haydn, mais je t’en prie, appelle-moi Maëlina, Anebelle ou Lora. Tu peux choisir, les trois me vont ! Ah, ceci dit, heureusement puisque je les porte tous... Héhé ! »

    ...

    « ... Qui est cette... grinça Nina.
    — Alors je... Je te présente... Maëlina, la magicienne novice, qui sera ta partenaire pour la dernière épreuve, demain. C’est avec elle que tu devras redescendre de la montagne, et elle aussi qu’il te faudra protéger, expliqua Alyce, bien embêtée.
    — Exact ! Je me suis proposée ! Il est évident que vu mon charme, personne n’aurait pu refuser, pufufu... »

    Cette énergumène aux courts cheveux blonds remplis d’épis ne cessait jamais de parler. Et de bouger. Tout le temps. Partout. Dans tous les sens. Sa cape verte volait au rythme de ses effusions d’énergie et la pauvre Nina se demandait, en lui jetant un regard noir, dans quel pétrin Alyce l’avait fourrée...

    ♦
      Maëlina Anebelle Lora Haydn


    * * *

    Le lendemain, aux alentours de quatorze heures, Nina, Alyce et Maëlina se trouvaient déjà au sommet du Mont Himlen. Toute la grimpée le long du versant est avait duré au moins cinq heures et seules les jambes de la plus âgée tenaient encore le coup. Nina, dépitée par toute sa sueur malgré la fraîcheur ambiante, se tenait opiniâtrement à ce bâton rencontré au bord du chemin, telle une vieille femme se frottant à une randonnée peu avisée. Igni voletait tranquillement à ses côtés. Il avait refusé de se mettre sur sa tête ou son épaule par respect pour les efforts de sa maîtresse, laquelle n’avait pas eu le droit d’utiliser ses ailes.

    Il faisait plutôt beau, les nuages trop blancs pour laisser supposer un quelconque orage. Ce qui tapissait le mont Himlen était soit une magnifique verdure et des champs de fleurs, soit quelques sapins. Hormis les arbres, le paysage ressemblait vaguement à ce que l’on pouvait voir autour de Rinnovo, le village où elle avait vécu, élevée par Dirk le Nain. Par une cascade de pensées, Nina se demanda encore si la moindre de ses lettres était jamais parvenue jusqu’à son père, maintenant que Sirius n’était plus là pour jouer au postier...

    Finalement, après un en-cas bien mérité, Alyce s’attela aux explications concernant l’épreuve qui attendait les deux jeunes femmes. Quel déplaisir de se rendre compte, avait soupiré intérieurement Nina, que cette pile électrique eût à peu près son âge...

    « J’attends de vous que vous atteignez l’étage collinéen, au niveau de l’étape ouest, en moins de deux heures. Le chalet est reconnaissable puisqu’il s’agit du même modèle qui nous a accueillies à notre arrivée sur le flanc est. C’est aussi simple que ça !
    — Si c’était facile, ce ne serait pas une épreuve de rang S... » soupira Nina en massant l’arrête de son nez, irritée.

    À côté, Maëlina n’avait rien écouté, préférant se prendre de fascination pour un rouge gorge et sa petite famille. Alors certes, c’était très mignon, mais l’heure n’était pas à la contemplation du paysage ! Lorsque Nina se retourna vers elle pour lui apprendre un peu le sens des priorités, elle sembla si...

    « Elle est complètement à l’ouest...
    — Cela tombe bien, puisque c’est par là que vous devrez aller ! » chantonna Alyce...

    ... Qui avait disparu.

    Et laissé sa place à un énorme monstre ! Un sanglier géant aux yeux verts luisants, et au pelage dru, brunâtre et tapissé d’herbe, de fleurs et de champignons aux airs très, très louches. Il commençait déjà à gratter la terre de son sabot arrière que de la fumée sortait déjà par ses naseaux...

    ♦
      Sanglier


    Seul, il n’aurait pas été inquiétant. Ce qui l’était, en revanche...

    « Maëlina, il faut fuir !
    — Gneuh ?
    — Une horde de sangliers géants fonce sur nous ! » hurla Nina en dévalant le flanc de la montagne, vers un ouest qu’elle ne pouvait pas manquer.

       Courez !


    Le temps que la petite tête blonde se rende compte que sa coéquipière disait vrai, elle s’était déjà fait engloutir par le troupeau, rebondissant sur les champignons saillants de leurs dos. Nina claqua de la langue et freina comme elle le put.

    « Igni, occupe-toi de faire diversion ! »

    La jeune femme déploya ses ailes et fonça sur les sangliers dans l’espoir d’attraper Maëlina au vol. Cependant, au moment précis où elle allait l’attraper, une bête bondit à sa hauteur et lui cracha une salve de fumée brûlante au visage, la projetant plusieurs mètres en arrière, droit dans les champs de marguerites.

    « Mais... Quoi ?! » cracha Nina en même temps qu’un pétale.

    Pendant ce temps, Maëlina, toujours ballotée par les animaux, essayait tant bien que mal de retrouver son équilibre. À sa ceinture était accrochée une torche dont elle se servit pour frapper leurs crânes, sans autre résultat que les énerver encore plus...

    Nina incita la jeune fille à utiliser son pouvoir. Elle en avait parlé, tout à l’heure, pendant la grimpée. Capable d’absorber une attaque élémentaire dans sa torche, elle pouvait ensuite manipuler cet éther pour façonner des techniques. Il suffisait alors d’intercepter une attaque d’Igni pour se doter d’une arme flambant neuve, c’était le cas de le dire.

    Mais c’était à Nina de protéger cette fille... Si elle se retrouvait blessée, son rang S passait à la trappe, et c’était inacceptable de gagner contre Ényo mais perdre contre des sangliers ! Alors elle dégaina Ragnell de sa dimension de stockage et se releva pour se précipiter sur le troupeau. Igni, de son côté, leur crachait dessus son souffle enflammé, mais aucun animal ne semblait en avoir peur...

    D’un coup d’épée sec, Nina planta Ragnell dans le sol, traçant une fissure droit devant. Il en sortit alors une salve d’éclairs, qui éjecta tous les sangliers présents autour.

    « Ils commencent enfin à me porter de l’attention... »

    Maëlina tomba alors, les quatre fers en l’air, et dévala le sentier jusqu’à être arrêtée par un sapin blanc salvateur. De nouveau sur ses jambes, elle débarbouilla son visage de sa main libre et grogna qu’il était inadmissible que pareilles immondices aient le dernier mot avec elle.

    Brandissant sa torche, elle hurla qu’un membre de la famille Haydn ne pouvait pas se laisser abattre et humilier de la sorte. Igni, plus intelligent, en profita pour cracher une flamme droit dans le réservoir, qui s’embrasa sur-le-champ. Maëlina cligna plusieurs fois des yeux, le temps de se rendre compte d’où sortait ce feu – magnifique au demeurant, ignorant complètement le petit slime qui n’avait jamais eu un regard aussi blasé.

    Pendant ce temps, Nina, hors d’haleine, se battait au corps-à-corps avec deux sangliers.

    « Je vous jure que je vais vous transformer en jambons ! »

    Visiblement vexés, les sangliers grommelèrent. Le plus surprenant fut leur volte-face. D’un cri, ils appelèrent tout le groupe qui se réunit alors en rond. Quand ils se mirent à courir très vite, tout en crachant de la fumée par leurs naseaux, ils créèrent une véritable tornade ! La catastrophe pas si naturelle se précipitait vers Nina, la jeune femme se demandant quoi faire face à cette chose...

    Puis elle eut une idée.

    Extrayant toutes ses épées de sa dimension de stockage, elle profita du tournis des sangliers pour en embrocher le même nombre. Puis elle appela Igni et Maëlina, leur demandant de jeter sur la tornade leurs meilleurs sortilèges de feu. Au taquet, l’élémentaire cracha une énorme salve ignescente, tandis que Maëlina trébucha sur une racine en voulant se tourner, ce qui eut pour effet d’envoyer sa torche au cœur du cyclone...

    « Aaaah désolée !! Bon euh en tout cas voilà du feu ! »

    Sans même prendre la peine de relever la bourde, Nina effectua de grands gestes avec les mains pour attirer à elle les sangliers, bien, bien plus lourds que prévu. Mais en canalisant son énergie magnétique dans les épées, elle parvint à emprisonner les bêtes dans leur propre tornade ardente.

    « Gruiiiiiik !!! »

    Des cris d’agonie s’en échappèrent mais aussitôt que le vent cessa, que le feu s’éteignit, il ne restait plus qu’une chose : une belle brochette de cochons grillés aux amanites. Haletant, Nina ne se préoccupa pas tout de suite de leur évaporation quasiment instantanée... Le feu n’était pas si chaud que ça, si ?

       Et c’est pas fini...


    Peu importait, à présent. Le chemin à faire était encore long, et il ne fallait pas traîner ! Nina empoigna Maëlina par le bras et la traîna sur le sentier descendant. Même si elle détestait faire trop d’efforts physiques, la brunette adopta un rythme soutenu, tout en conservant sa concentration. Elle mangerait comme deux, en rentrant à Altaïr, se disait-elle...

    La route vers le chalet étape s’avéra truffée de pièges en tous genres. Beaucoup étaient composés d’armes en métal, notamment en fer ou en acier, rendant pour la jeune femme le travail beaucoup plus simple. Il était possible de les déclencher sans risquer sa peau. Cependant, les filles et Igni firent face à de violents sortilèges disséminés un peu partout.

    Nina traversa aisément le labyrinthe illusoire, car elle savait toujours où le nord se trouvait. Par contre, lorsqu’arrivée à la fin de l’épreuve elle se rendit compte que Maëlina y était restée bloquée... La blondinette fut toutefois utile lorsque le groupe eut à traverser une rivière. En mettant des galets dans sa torche, celle-ci frémit d’élément terre, permettant de traverser sur un chemin solide. Quand il s’avéra que la puissance de Maëlina eût atteint ses limites, face à un immense et réel précipice, les ailes de Nina furent d’une grande aide.

    La fin de leur parcours n’était désormais plus très loin, mais le temps manquait cruellement. Trop épuisée par la course pour finir le trajet en battant des ailes, tout en portant Maëlina, Nina ordonna de s’arrêter une minute histoire de reprendre leur souffle.

    « Euh, je voudrais pas faire ma raclette, mais je sens quelque chose de pas franchement plaisant, par ici... On ne pourrait pas faire un détour ? s’inquiéta la petite magicienne.
    — GROAAAAAR ! »

    Un hurlement strident et très féminin s’accorda au cri bestial pour composer une affreuse mélodie. Maëlina se retrouva alors trois pieds au-dessus du sol, entre les crocs acérés d’un monstre dépassant facilement les huit mètres de haut ! Sa torche, tombée au sol, roula lentement avant de s’abandonner plus bas dans la vallée.

    La bête était verte, le crâne recouvert de pièces d’armure. D’immenses cornes pointues verdoyaient de chaque côté, et sur son dos velu et musclé trônait une paire d’ailes d’émeraude ridicules en comparaison du mastodonte qui les portait.

    ♦
      Groar.


    « Oh bon sang, un béhémoth...
    — Nina, au secouuuuurs ! C’est mouillé, ça fait mal et ça puuuuue ! » pleurait Maëlina, prisonnière de la mâchoire acérée de la créature.

    Tout en continuant de grogner, le béhémoth avançait lentement vers Nina. Ragnell en main, la jeune femme réfléchissait, sans pour autant quitter le regard de la bête une seule seconde. Elle devrait abattre ce monstre en un seul coup, sans quoi ses dents pointues déchiquetteraient la petite magicienne sans le moindre sursis...

    Reculer et observer. Voilà tout ce qu’elle pouvait faire pour le moment. Si le béhémoth n’était pas très intelligent, ou tout du moins doté de peu de concentration, peut-être que lui trancher une patte ou la queue lui feraient ouvrir la gueule suffisamment grand pour que Maëlina tombe et puisse s’enfuir... Mais seul un fou s’approcherait de pattes ainsi griffues. De véritables sabres... Pour plus de sûreté, Nina demanda à Igni de ne pas intervenir.

    Une image lui revint. Ce sort... Elle ne l’avait pas utilisé depuis longtemps. Cependant, Nina n’avait rien perdu de son exécution. Ce qui la freinerait possiblement était que sa dimension de stockage contenait bien moins d’armes qu’auparavant... Mais cela suffirait probablement. Non, pas probablement. Cela devait suffire.

    Dans le ciel, une faille s’ouvrit. Comme un fil tendu, brillant tel du cristal, une ligne s’était tracée juste au-dessus du béhémoth. Et d’un coup, cinq épées, parfaitement alignées, fendirent les airs pour s’abattre sur la queue du mastodonte, la tranchant sur le coup.

    Comme espéré, sa gueule s’ouvrit dans un râle de douleur. Maëlina tomba, roula et rejoignit sa lanterne, embrumée sous l’effet de la peur. Le temps de recouvrer ses esprits et elle sécha ses larmes, voyant face à elle Nina, Ragnell en main, parant ou esquivant les coups de griffes du béhémoth aussi bien qu’elle le pouvait. Le monstre saignait, perdait toujours plus de sang à mesure qu’il bougeait.  Et cela l’épuisait...

    Nina ne manqua pas de le remarquer, et profita de la faille s’offrant à elle. Son sabre se chargea d’une aura électrique, le cristal bleu qui la composait luisant d’effluves incarnat. Prenant son élan, elle déploya ses ailes et bondit droit vers la gueule du béhémoth. Et d’un coup d’estoc...

    ... Elle projeta un éclair foudroyant qui transperça le corps de la bête.

      La fin de l’épreuve ?


    Quand il tomba, vaincu, et disparut enfin, Maëlina se précipita sur sa senior et lui offrit une étreinte humide, gluante et larmoyante. Paniquée et dégoûtée, Nina la repoussa.

    « Mais de rien, de rien, c’était ma mission... grommela-t-elle. Lâche-moi s’il te plaît, je n’aime pas ça...
    — Tu as ma reconnaissance éternelle, renifla la jeune fille. Je suis désolée de n’avoir été qu’un poids tout ce temps... »

    Maëlina semblait vraiment touchée. Comme si elle se rendait compte de sa maladresse et son oisiveté bien plus qu’il n’y paraissait. Elle possédait trois prénoms, et les donnait lorsqu’elle se présentait. Ce n’était pas rare dans la noblesse, et à Pergrande encore moins. Peut-être que, songeait Nina, les deux magiciennes avaient plusieurs points communs insoupçonnés...

    Finalement, la blondinette se rasséréna et recula. Il ne restait plus beaucoup de temps avant la fin de l’épreuve, et même si le chalet n’était plus très loin, il n’était pas une bonne idée de lambiner.

    Nina sourit et soupira d’aise en atteignant la bâtisse. Véritablement identique à celle qui débutait le versant est, c’était à se demander s’il ne s’agissait pas en réalité de la même. Les poutres, agencées de pareille sorte, étaient posées horizontalement, laissant les angles saillir de chaque côté. Deux fenêtres perçaient chaque mur, donnant le plus souvent sur l’horizon et les pics rocheux composant la chaîne, ou les champs de fleurs un peu plus loin. Mais les rideaux étaient tirés. En s’approchant de la porte, Nina eut un mauvais pressentiment...

    « Je sens quelque chose, faites attention... »

    La poignée de la porte était glacée. Anormal pour du bois. Une brise beaucoup trop fraîche alourdissait l’atmosphère. Aucune trace d’Alyce à l’horizon, ni du moindre animal. Aucun oiseau ne chantait, aucun insecte ne grouillait sur le sol pourtant riche de végétation.

    Et un son de cloche. L’écho d’un son de cloche. De cloche...

    « Le temps vous est compté... »

    Sur leurs gardes, les deux magiciennes et Igni se retournèrent, le cœur battant un peu trop fort... Mais le silence de la nature était tel que tout son semblait décuplé.

    Une silhouette se dressait. Devant eux. Encapuchonnée, toute de noir vêtue, elle ne laissait voir que deux rubis luisants et un sourire terrifiant, denté, que l’on apercevait de loin.

    Elle approchait, sonnant sa cloche d’argent. Un pas après l’autre, frappant l’instrument glacial, encombrant les airs d’une fréquence lugubre.

    « Le temps vous est compté... »

    Et elle avançait. Encore.

    Maëlina, tétanisée, se blottit à Nina. Dans le doute, la jeune femme jeta un éclair sur la silhouette. Mais rien ne se passa.

    Elle avançait.

    Le groupe se déplaça sur la droite, lentement. Il fallait fuir... Mais la silhouette ne les regarda même pas, continuant de sourire. En avançant. Droit devant, sonnant de la cloche comme seule preuve de son existence.

    Et d’un coup elle n’était plus.

    « Le temps vous est compté... »

    by Nina

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