Le salon tranquille

Je m'étonnai de voir à quel point elle paraissait avenante... Un peu intimidante, je devais me l'avouer, mais hors de question de faire transparaître une once de ce sentiment. Je pris place sur un fauteuil non loin de la seule table encombrée de soucoupes et tasses déjà remplies. Il y avait à côté de moi le garçon aux cheveux blancs qui m'était également inconnu. Il paraissait frêle, timide, et particulièrement mal à l'aise vis-à-vis du fait que je le dévisageais de haut en bas, du coin des yeux.

Quelques secondes après, le temps de cette réflexion, je répondis aux multiples questions de... hum... Aria ?

"Thé, noir. J'ai envie d'un Earl Gray. Merci pour cela et pour les pancakes. (Je marquai une pause) Je m'appelle Nina."

Nina :

Oui, des pancakes s'il te plaît !

J'avais rapidement pris mes marques avec Aria. Elle était dynamique et menait la discussion, il me suffisait d'enchaîner sans trop me poser de questions, me permettant de rapidement gagner confiance. Mais une nouvelle venue arrivait à peine, que mon aisance naissante aux côté d'Aria allait grandement m'aider pour faire connaissance. On se connaissait quasiment à peine que nous savions déjà les vies de chacun, et sa façon de ma parler et de me regarder me rappelait celle d'une grande sœur... Mais l'on avait beau se connaître désormais, je me demandais toujours comment elle était réellement, au fond d'elle. De quoi elle était capable, qui elle était.

Nina... Monsieur Mugetsu m'a rapidement parlé de toi ! Tu manies le magnétisme, il me semble, non ? J'avais hâte de te rencontrer...

Alors que le jeunot me parlait, Aria revenait avec le thé et les pancakes. Elle semblait rapide en cuisine : était-elle habituée ? C'était tout à son honneur car ils avaient l'air appétissants. Mais il me fallait répondre...

"Oui."

Après que ce fut fait, je pus tendre la main pour saisir ma tasse : le thé était bon ! Puis un pancake atteint ma bouche, et je pus constater qu'il en allait de même. Mais la jeune femme relança aussitôt après la conversation, me demandant par curiosité pourquoi je semblais si fatiguée. Je ne tins pas à déballer l'histoire dans son ensemble alors je me contentai d'expliquer que la soirée de la veille avait été mouvementée. Ni plus ni moins : après tout, je ne voulais pas avoir à parler du pire moment de faiblesse que j'aie connu depuis mon entrée à la guilde !

La façon dont elle parle, les mots vagues qu'elle utilise, montre que ce qui s'est passé la veille doit rester secret. Pourtant, je ne baisse pas les bras, et continue d'engager la conversation avec ces deux jeunes gens. Du coup, je reprend la conversation avec Liesel, sur les livres qui nous touchent ou nous émeut. J'essaie d'intégrer Nina à cette conversation mais mes tentatives sont vaines. Mais ça ne me dérange pas : elle a l'air d'être comme Mia. En apparence, elle s'en fout royalement ; mais au fond, ça doit sûrement lui faire plaisir d'avoir une conversation bateau, peu voir pas importante, limite futile. J'espère qu'elle se sent plus détendue, plus calme que lorsqu'elle est entrée dans la pièce.
-"Bon, c'est pas que je ne vous apprécie pas, (bien au contraire) mais j'ai une guilde à visiter, des affaires à déballer et des entraînements à commencer. J'espère vous croiser de temps en temps ! Ce serait pas mal. Puis pourquoi pas faire une mission avec vous, un jour ou l'autre. Si vous me chercher, vous me trouverez sûrement dans une bibliothèque ou dans un lieu extérieur, comme le jardin, la forêt ou la montagne, en pleine escalade. Enfin ! Si vous devez me trouver, Sirius saura sûrement vous indiquer ma position... A la prochaine ! On se refait ça quand vous voulez : ça m'a fait plaisir !"

Sur ces mots, je prends ma tasse et la nettoie derrière le comptoir (vieux réflexe de serveuse, ça !). Je leur souris et ferme la porte derrière moi, sans leur laisser le temps d'ajouter un mot.

Elle était partie sans me laisser le temps de lui dire que partager une mission avec elle me ferait plaisir aussi, nous n'avions même pas pu lui dire au revoir. Je me retrouvai donc seul avec Nina. Nina qui était... aussi bavarde que mon cappuccino. C'était assez gênant de se retrouver dans le silence total, ce qui ne devait probablement pas lui déplaire, étant donné qu'elle ne prenait même plus la peine de considérer mon existence. J'hésitais à lui re-signifier ma présence avec une question bateau, mais je me doutais qu'elle ne répondrait guère plus que le plus strict minimum. À mesure que les secondes passaient, mon malaise se faisait de plus en plus intense et je n'osais pourtant pas partir.

N-Nina..? ... Notre présence te dérange tant que ça ?

Elle leva un sourcil et daigna m'accorder un regard, du coin de l’œil. Je sursautai.

N-Non ! Je veux dire... Enfin... On va probablement être amenés à combattre et voyager tous ensembles, alors... Pourquoi ne pas faire plus ample connaissance ?

"Hm ? Non, votre présence à la guilde ne me dérange pas. C'est plutôt la convergence de nos présences en un même lieu qui, en ce moment, ne me convient guère mais je n'y peux rien. Et puis je n'ai guère envie de parler et pas nécessairement plus à dire pour le moment. Il y a un temps pour tout et l'on verra cela plus tard."

Après ces mots je posai ma tasse de thé désormais vide sur la table, avant de me lever et de la récupérer avec sa coupelle, la rinçant dans l'évier moi aussi. J'allais partir de la pièce sans un mot de plus quand, après un regard à l'adresse du garçon penaud, je fus prise d'un élan de... pitié ? Remords ? Qui sait. Je devais bien admettre que je n'étais pas la plus habile en relations sociales, et même si je n'avais cette fois-ci pas fourni le moindre effort, je ne pouvais que remarquer le malaise de mon nouveau "camarade". Je soupirai avant de lui adresser la parole une dernière fois avant de sortir.

"Ce n'est pas pour ma défense mais... le lendemain du jour où tes mains seront comme les miennes, demande-toi si tu as vraiment envie de fanfaronner avec des inconnus. (Voyant son incompréhension, je soupirai de nouveau, plus fort, et procédai à quelques précisions) Disons que tu comprendras sûrement mieux cela quand, à ton tour, tu auras les mains tâchées du sang d'un autre."

Et je l'abandonnai dans un léger sourire, comme si j'avais voulu atténuer la portée de mes propos, réalisant qu'en voulant être sociable je n'avais réussi qu'à être inquiétante.
Mais bon... Il devait s'en douter. Ne jamais juger un livre à sa couverture... Ou bien venais-je de briser son innocence ?

...

Bah.

Nina avait donc déjà commis un meurtre... Étrangement, je ne la détestais pas pour cela. Elle avait dû avoir ses raisons de le faire, et en parler ainsi à un étranger... ça avait dû la marquer, normal. Je me doutais bien que ce genre de personnes existait aux sein de la guilde... Après tout, en étant au bas de l'échelle, on pouvait facilement esquiver cela, mais en arrivant à haut niveau, les mages noirs n'étaient plus des nounours, le combat devait devenir un "lui ou moi"... Comment allais-je bien pouvoir faire pour aider à construire le monde que nous voulions tout en restant pacifique..? Je baignais probablement encore dans ma naïveté.

Elle partit, sans que j’eus le temps de former une phrase correcte. Je l'admirais quelque peu... Non pas pour l'acte qu'elle avait commis ! Mais malgré son âge qui avait l'air assez proche du mien, légèrement plus âgée cependant, je contemplais sa maturité. J'espérais pouvoir être comme ça, moi aussi, un jour, avec une aura comme la sienne : admirable et imposante, qui inspire le respect.

Je nettoyais donc la vaisselle, tête baissée et perdu dans mes pensées, passant trop de temps sur chaque objet car pas concentré. Tuer de sang froid... Je ne pouvais pas m'y résoudre, cependant... en étais-je capable ? Quand ma vie et celle des membres seraient menacées, je devrais être capable de protéger, ce qui impliquait parfois détruire... Mais je n'y étais pas encore ! Pour l'instant, je devais devenir plus fort.

J'entrai dans le salon tranquille en traînant des pieds, recroquevillé tel un cadavre d'araignée.
J'allai vers le bar, me servis une pression... il fallait que j'évacue tout ça.

Je vis Nina dans un coin du salon, concentrée sur - peu importait. J'avais besoin de parler. Peut-être qu'elle trouverait les mots ? Enfin, elle était plutôt du genre à ne pas les chercher, mais si j'avais bien tout compris ce qu'il s'était passé à la fontaine, elle avait eu le même genre de problème avec Hendrik.

Je m'assis à sa table, l'air dépité.

"Bonjour Nina. J'ai couché avec un inconnu, j'ai besoin d'en parler, tu es là, parlons, si cela ne te dérange pas."

Je reniflai puis but plusieurs gorgées de ma bière.

C'était étrange. J'étais à la guilde comme si de rien n'était alors que je n'étais pas censée m'y trouver. Fut-ce le résultat d'une faille dans l'espace-temps ? Ou d'un crime perpétré par deux odieux rôlistes idiots ? Sirius lui-même n'avait sûrement pas la réponse à cette question.

Alors que je tenais dans mes mains un tas de feuille sans pour autant les lire, la porte du salon tranquille s'ouvrit dans un craquement sinistre. Puis... Une loque tout aussi sinistre, craquant tout autant par ailleurs, avança lugubrement vers le bar pour se servir une bière. Cette étrange créature vint par ailleurs s'asseoir à côté de moi.

« Liesel ? C'est toi ?
— Bonjour Nina. J'ai couché avec un inconnu, j'ai besoin d'en parler, tu es là, parlons, si cela ne te dérange pas. »

C'était donc ça.

Sans rien répondre, je me levai et me rendis à mon tour vers le bar à boissons.

Un bruit liquide siffla seul dans la salle pour quelques secondes.

À la suite de quoi je retournai m'asseoir auprès de mon camarade, croisai les jambes et bus une gorgée, le fixant droit dans les yeux.

« Parle, mon enfant. » murmurai-je en lui tendant la main.

"J'étais dans son lit, après de nombreuses péripéties, il m'avait sauvé la vie. Il m'a pris dans ses bras, j'avais envie de lui, et on a... Enfin, c'est plutôt lui qui a... Enfin. Et on nous a surpris. Je n'ai pas encore eu l'occasion de tuer le témoin et le coupable."

Je bus une nouvelle gorgée et sentis immédiatement ma vue baisser. Je me fichais de mon état,
ma vie n'avait pas d'importance tant que ces deux hommes n'étaient pas morts.

"Le pire, c'est que je... j'étais pleinement conscient de ce que je faisais et puis... j'ai apprécié...
et puis j'avais failli me faire violer la même journée, c'est malsain, tu comprends !? Je ne vaux pas mieux que ces fistules anales de mages noirs..."

J'engloutis le fond de mon verre et sentis que Mugetsu avait quelques difficultés à piloter Ouroboros sans turbulences.