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    [Mission – Expérimentée] Mission personnalisée - Amitiés par Nina Andersen Jeu 29 Déc 2016, 23:44
    Nina Andersen
    Nina Andersen
    Briseuse de Mythes








    Mission 5



    Amitiés (partie 1)
    Disclaimer + Ordre de mission:


    À peine une nuit et quelques heures pour reprendre mon souffle et le temps s’était remis en marche. À mon grand dam, je sortis de ma baignoire et me vêtis rapidement, faisant patienter de quelques « j’arrive » la personne qui venait de frapper à ma porte. Une fois ma jupe lissée et mon chemisier boutonné, je sortis de la pièce que je n’avais pu fréquenter bien longtemps, encore pleine d’une vapeur qui n’avait pas eu le temps de se condenser, et lançai un regard noir à l’occupant particulier de ma chambre.

    « Je vous avais dit d’aller ouvrir. Et ne touchez pas à ça. » reprochai-je d’une voix ferme.

    L’homme à qui je m’étais adressée, grand, aux cheveux d’un mauve si pâle qu’il avoisinait le blanc, était nonchalamment allongé sur mon propre lit, jambes croisées, et examinait les nombreuses peluches tapissant le matelas. Il afficha un sourire en coin et m’offrit un petit baiser sonore, sans même me regarder. Je ne manifestai cependant pas le moindre intérêt à cet élan factice et provocateur, de toute façon, trop occupée à régler à la hâte mon dernier problème d’épi capillaire. Puis j’ouvris enfin la porte, m’excusant platement auprès du grand individu, dont la tenue sombre ne reflétait pas la nature angélique, qui se contenta d’une salutation parée d’un léger sourire. Geste qui s’estompa très vite lorsqu’il croisa le regard d’Hendrik, souriant narquoisement. Avant qu’une veine ne se mette à battre sur la tempe de l’Archange, celui-ci rejoint sa discussion de palier avec moi, laquelle prit bien vite une ampleur très différente des simples mondanités d’usage.

    J’écoutai attentivement mon Maître me présenter le papier qu’il tenait entre les mains. Un ordre de mission tout juste transmis, mais pas des moindres : Alithéia Stryknos elle-même l’avait rédigé et parlait en son nom. Je n’avais jamais eu l’occasion de rencontrer la plus Haute du Chrysokrone, l’Ain Soph Aur, l’éminente mage qui avait également rédigé le livre le plus détaillé sur ma magie qu’il m’ait été donné de feuilleter. Toisée par le Maître, dans l’attente de ma réponse qu’il devait anticiper comme positive mais voulait expresse, je pensai que je ne pouvais pas laisser passer une telle occasion. La Dame attendait des cinq mages appelés qu’ils réussissent et fassent sa fierté. Je serais assurément l’une d’entre eux.

    « J’accepte volontiers ce travail, Maître. Puis-je simplement, je veux dire, savoir exactement en quoi consiste la mission s’il-vous-plaît ? demandais-je en fixant le morceau de papier. Ne craignez pas que ma décision puisse changer, bien sûr…
    — Comme si j’allais t’insulter de la sorte, Nina, sourit l’Ange en me tendant l’ordre manuscrit.
    — Merci. A-Attendez… Ai-je bien lu ? »

    Tout se figea autour de moi lorsque je lus l’énoncé de ma mission. Je ne vis alors plus qu’un nom que mes yeux mettaient en valeur plus que tout autre terme, tracé à l’encre noire par une plume hâtive mais ferme et nette. Lëen Evrephia. Rien ne pouvait trahir une homonyme quelconque : le nom peu répandu, l’âge et la santé, mais surtout, surtout le talent au violon. Comment oublier la virtuosité d’une telle femme ? Comment l’oublier quand elle avait été son propre professeur de violon durant tant d’années de son enfance ? Impossible, cela allait de soi. Je me rappelai soudain de choses que je pensais censurées par mon propre esprit. Mais ces souvenirs ressurgirent, me rappelant que je n’avais jamais plus vu ma tutrice depuis l’horreur de Shiero. La veille de l’incendie, j’avais eu un cours avec elle sans me douter de ce qui m’attendait le jour suivant. Sans non plus songer à la proximité que j’entretenais avec un membre notable du Chrysokrone, l’organisation pour laquelle je travaillais moi-même aujourd’hui.

    Prise d’un léger vertige, je me cramponnai au bras du Maître. Je ne voulais pas parcourir de plus vieux souvenirs pour le moment et surtout pas ceux-là, alors je lui expliquai rapidement la raison de mon malaise. En retour, il posa sa main sur mon épaule, chaleureusement, et me souhaita bonne chance. Mes pensées furent alors réorientées vers le devoir que je devais accomplir. Une fois le Maître parti, je m’avançai vers le bord de mon lit pour m’y laisser tomber. Hendrik s’était étendu de l’autre côté du matelas, maintenant sa tête dans sa main, le coude replié, toujours nonchalant. Je sentais son regard sur mon dos tenu droit, en plus du poids de mes cheveux, encore un peu humides. Je n’en tins juste plus rigueur au bout de quelques secondes. L’ignorance valait parfois mieux… Puis, le son d’une feuille qu’on déchire. Je venais d’accepter la mission.

    « En quoi consiste ta mission, exactement ?
    — Je dois protéger une femme – mon ancien professeur de violon. Elle est la cible d’une guilde noire qui en veut à sa fortune et n’hésiterait sûrement pas à prendre autre chose que ses biens si elle se mettait au-travers de leur chemin. Et la connaissant… Si elle n’a pas changé, je veux dire. Elle se met même en plein milieu. »

    Certainement. Lëen Evrephia n’était pas de celles que l’âge arrête. Dotée d’un fort caractère, je me souvenais qu’elle avait un jour fait peur à ma sœur en la réprimandant de telle sorte qu’Élia n’avait plus suivi un seul cours ensuite. Toutefois, au courant de sa santé relativement fragile – bien qu’Evrephia n’en laissait rien paraître –, je redoutais que son retrait du Chrysokrone signifiât un aggravement de sa condition et donc de sa vulnérabilité. Cessant finalement de ressasser le passé et mes doutes intempestifs, j’enfilai mes chaussures cirées par-dessus un collant noir, nouai un ruban strict autour de mon col parfaitement retroussé, vaporisai au creux de mon cou une vague odeur de cannelle et défroissai une dernière fois ma jupe. Evrephia aimait les tenues soignées. J’entrepris de m’en aller mais avant de pousser la porte, je m’adressai à l’homme faisant office de pot de fleurs depuis un bon moment déjà.

    « Je ne sais pas quand je rentrerai alors soyez sage. Tout ce que je vous demande c’est de n’énerver personne. Du moins pas le Maître, Sirius, Shirona, Dirk ou Irma. On a deux autres membres à la limite… (Je soupirai en le regardant ricaner) De toute façon, Sirius garde perpétuellement un œil sur vous. Nous pourrons tous les deux justifier votre présence à Aeternitas à mon retour… par le biais d’entraînements.
    — Je me demande qui est le maître de qui, ici, demoiselle. »

    Et la porte claqua – cet individu ne se prenait définitivement pas pour un moins que rien. Martelant le sol pavé, les talonnettes de mes chaussures retranscrivaient à la perfection ma hâte et ma détermination. Mon cœur battait trop vite tant je m’impatientais, aussi bien à l’idée de revoir mon professeur de violon que de la protéger d’un danger potentiellement imminent, m’épuisant dans ma marche rapide vers le portail. Lorsque je l’eus finalement traversé, toujours avec un certain sentiment de déséquilibre quelque peu alcoolique au terme du processus, je me trouvais à Era, dans une énième ruelle à l’écart de tout œil indiscret. La Rue Blanche ne devait pas être très loin.

    Il n’avait jamais été très dépaysant pour moi d’atterrir dans un quartier ou une banlieue riche. Les hauts portails, souvent noirs, blancs ou or, les haies bien taillées, les bâtisses à étages ornées çà de pierres taillées, là de crépi parfait… Tout cela n’était qu’un camaïeu de lieux communs, à moi en tout cas. Mais si à petite dose, le luxe me plaisait, plus l’on grimpait sur l’échelle toutefois, plus cela me remettait en tête qu’il ne s’agissait que d’apparat pour faire passer ce monde plus idyllique qu’il ne l’était vraiment. Ce fut en songeant à cela que je me présentai à la grille de la maison Evrephia. Le jardin entouré de haies particulièrement imposantes donnait vue sur une demeure tout aussi bien entretenue, aux parois recouvertes de roches anthracites. Alors que mon index se dirigeait, tremblant légèrement, vers le bouton de la sonnette, une main entoura avec force mon poignet et je ne pus faire autrement que sursauter ! La main sur le cœur, je me retournai pour voir qui avait osé me toucher ainsi, prête à dégainer à tout moment.


    « Je ne vous conseille pas d’appuyer sur cette sonnette sans savoir vous y prendre, mademoiselle. »

    Un grand jeune homme brun à la coiffure ordonnée prenait un air très sérieux à côté du mien, encore vaguement émotionné. Mais je me repris bien vite, dégageant avec force mon poignet de l’étreinte à laquelle il était toujours soumis. Ne sachant trop quoi dire, je me contentai d’interroger le curieux personnage, vêtu d’une ample cape noire à revers olive et notamment d’un jabot de la même couleur, sur son identité. Il me regardait sans me quitter des yeux et entrepris de répondre par un léger bégaiement, provoquant la hausse d’un de mes sourcils. Mais une voix féminine l’empêcha de poursuivre.

    « Allons Liam, ne sois pas grossier ! L’on n’empoigne pas les demoiselles ainsi… soupira la personne que Nina ne vit pas tout de suite en se retournant. D’ailleurs, qui êtes-vous ? »

    Liam

    Il fallut que le dénommé Liam se pousse sur le côté pour que je puisse croiser le regard de l’auteure de ces mots. Une grande femme, mince, aux longs cheveux ondulés d’un blanc aux éclats rosés. Ses prunelles, d’un vert perçant, croisèrent l’azur des miennes durant de longues secondes. Il était essentiel que nous soyons sûres… de l’identité de la personne que nous avions en face. J’avais bien grandi. Elle semblait n’avoir quasiment pas vieilli.

    « Vous… vous êtes finalement laissé pousser les cheveux, professeur ?
    — De ton côté, il semble que tu aies enfin entrepris de les détresser un peu… »

    Lëen Evrephia

    La plus âgée de nous deux enjamba les quelques mètres qui nous séparaient encore et me surprit d’une tendre étreinte. À côté de la scène, j’entrevoyais Liam, stupéfait, entrouvrant la bouche sans savoir pourquoi, sans trop bien comprendre ce qui se déroulait juste à côté de lui. Lorsque l’embrassade prit fin, il ne put poser la moindre question puisqu’Evrephia ne demanda pas mais ordonna que nous entrassions chez elle, afin de parler à l’intérieur pour plus de confort mais aussi de sécurité. Et nous nous exécutâmes. Que pouvions-nous faire d’autre ?

    L’intérieur de la maison de Lëen Evrephia était raisonnablement décoré. Les couloirs ne contenaient plus de plantes qu’ils n’avaient d’angles aptes à les accueillir, et le salon principal du petit manoir ne laissait pas transparaître tout la richesse que devait détenir sa propriétaire. Une fine moquette blanc crème recouvrait le sol et quelques bibliothèques, parfois à vitrines, étayaient les murs. Celui juste derrière l’ensemble de fauteuils et canapés grenat était même doté d’une cheminée de pierre, bien qu’elle fût éteinte. D’ailleurs, deux personnes, des filles, bavardaient déjà sur un même sofa.

    Elles se retournèrent aussitôt conscientes de notre présence, à Lëen Evrephia, Liam et moi-même. L’une était blonde, coupe courte et dégradée, ornée d’une tresse nouée au bout de laquelle tombait un anneau. Elle avait de grands yeux roses et éclatants, si jolis à voir que je ne pus m’empêcher de fixer cette jeune femme quelques secondes de plus que sa comparse. L’autre semblait un peu plus jeune mais son apparence était autrement plus particulière… De la sorte qu’elle était dotée d’oreilles de chat, couleur paille fraîche comme les longueurs de sa chevelure. Seules les mèches qui encadraient son visage étaient teintées du même vert que ses yeux aux pupilles – je le vis mieux en avançant derrière Evrephia – verticales. Mieux encore, pour parfaire l’ensemble, une queue de chat ondulait sur le canapé, juste à ses côtés.

    « Nina, je te présente deux autres de tes collègues pour cette mission, le premier que tu aies rencontré étant ce jeune homme, Liam, ici présent.
    — Seul représentant du sexe masculin, même. Le pauvre, plaisanta la jeune femme blonde, un rictus d’attendrissement sur ses lèvres.
    — Vous êtes des personnes sympathiques, Amalie, Lissa. Je n’ai pas à m’en plaindre. »

    Amalie

    Lissa

    D’un geste gêné, il passa son index sous son nez, comme pour se gratter dans démangeaison, détournant le regard. Amalie était la blonde et Lissa la jeune fille aux attributs félins. Je leur appris mon nom, puis l’hôte m’intima que nos retrouvailles attendraient un moment plus propice. Dans l’instant, il fallait parler travail. Les mages arrivés un peu plus tôt que moi n’en avaient rien su, car Evrephia voulait que tout le monde soit mis au courant dans le même temps. J’aurais voulu passer plus de temps seule à seule avec mon ancien professeur, cependant il me fallait garder à l’esprit que l’intérêt de ma mission était de la protéger. J’aurais l’air bien maline si une attaque avait lieu par surprise, sans qu’une stratégie n’ait pu être élaborée !

    Mais une chose semblait rendre le tableau imparfait… N’étions-nous pas censés être cinq mages pour s’occuper de la mission, comme mentionné sur l’avis ? Sans m’abaisser à recompter pour être sûre, j’allais le faire remarquer à Evrephia. Mais ce fut Lissa, celle aux oreilles de chat, qui s’en chargea, me coupant l’herbe sous le pied. Et je n’aimais pas du tout ça.

    « J’allais y venir, j’allais y venir. La jeune Agnès Greenland fut la première à avoir répondu à l’ordre de mission, contactée par moi-même pas plus tard qu’hier au soir. Son entreprise a participé à la récente modification de ma maison, ainsi la connaissais-je. Comme elle a répondu aussitôt, elle s’est tenue prête sur-le-champ à la mission subsidiaire que je lui confiais. Et le point de départ de votre mission est celui-ci. Agnès s’est servie des quelques informations que nous détenions sur la guilde noire qui en veut à mes biens, a trouvé son quartier général et en a retiré des informations. Elle est sur place en ce moment-même et me tient au courant de leurs faits et gestes via ces boucles d’oreilles. Maintenant que j’ai établi la base de notre stratégie, nous pouvons commencer à en discuter, les enfants. Juste avant, j’aimerais simplement vous remercier de vous être déplacés pour moi. Cela me fait grand plaisir, pour autant de raisons que j’ai plaisir à côtoyer le Chrysokrone, même si je ne peux malheureusement en faire partie plus longtemps.
    — J’aurais été meilleure pour le rôle grâce à mon pouvoir… Même si je ne peux pas encore me transformer complètement, mes capacités de métamorphose humaine partielle auraient suffi à me déguiser et il aurait été plus facile pour moi de me cacher dans la guilde. Mais bon, tant qu’elle fait un bon travail, cette Agnès… »

    "Sympathique" avait dit Liam ? Ce n’était pas le terme que j’aurais employé pour la décrire, après cette première impression que j’avais eue de la féline. Hâbleuse, plutôt. Non, tout compte fait, j’en aurais choisi plusieurs. Quelque chose comme « ne commence pas à te la jouer, ta gorge je risquerais de lacérer ». Ignorant la réflexion, comme si mon esprit et ceux d’Amalie et Liam s’étaient temporairement accordés, nous réagîmes d’une même voix aux remerciements d’Evrephia.

    « Je n’en doute pas, murmura la violoniste dans un souffle.
    — Je propose, débuta Liam, que nous parlions un peu de votre maison, madame. Pour savoir où se trouvent les améliorations et… en quoi elles consistent.
    — Cela va de soi ! »

    Assise seule dans un fauteuil, je ne me sentais pas trop à ma place. J’avais presque toujours agi en solitaire, en duo tout au mieux, mais jamais je n’avais eu quatre coéquipiers, cinq même selon comme l’on considérait les choses. Quand j’écoutais Evrephia nous expliquer les modifications apportées à sa demeure, regardant dans le même temps le plan tapissé sur la table basse – j’avais la chance de l’avoir à peu près en face –, j’avais tendance à réfléchir sur mes actes comme si j’allais les accomplir seule. Loin d’être une forme de prétention, une vantardise à une potentielle capacité de vaincre seule une guilde entière, il s’agissait plutôt d’une manifestation de mon malaise face au travail en équipe. Je ne m’y étais pas encore accoutumée, même en plus d’un an de métier. Mais il fallait bien faire un effort ce coup-ci…

    Les ingénieurs du Chrysokrone semblaient avoir bien travaillé. Une heure durant, Evrephia nous fit découvrir les pièges dont sa maison regorgerait jusqu’à l’annihilation de la guilde noire, qui s’appelait d’ailleurs Apothéose. Pfff… Les noms fastueux n’étaient que pour les vainqueurs. Je n’avais jamais lu de roman sur un noble guerrier de la guilde Serpentin, ni même de pauvre tenancier alcoolique voué à l’échec nommant son auberge Au Valhalla. Cela sonnait mal…

    * * *


    Midi sonna à l’horloge du hall, mais nous l’entendîmes tout de même depuis le salon. Les présentations n’avaient pas encore eu lieu mais notre hôte voulut qu’elles se fassent à table, par souci de convivialité. Amalie empêcha poliment Evrephia de se charger elle-même de la cuisine et se rendit aux fourneaux avec conviction. Mais l’hôte décréta qu’elle se faisait déjà protéger et qu’il était inconcevable de rester les bras croisés à se faire servir ! Ainsi disparurent-elles, suivies par Lissa qui clama à qui voulait bien l’entendre que ses conseils culinaires valaient de l’or et qu’ils seraient nécessaires à la confection d’un repas correct. Ce faisant, il ne restait dans le salon plus que Liam et moi-même, déçue qu’il n’eût pas s’agi d’Evrephia en lieu et place. Un silence s’installa alors, mais imparfait, empêché par les toussotements chroniques du mage à mes côtés en réaction à mon analyse oculaire de sa personne.

    Il était plutôt grand, moins que le Maître mais de peu. Il semblait beaucoup aimer la couleur marron car il en portait partout. Plus généralement, la concordance chromatique des couleurs de ses cheveux et de ses yeux avec celles de ses vêtements semblait lui tenir à cœur. Il traînait à côté de lui une épée si longue qu’elle faisait sa taille. Alors que je ne le fixais que depuis quelques secondes, il paraissait si gêné qu’il n’osait même plus axer son regard sur moi. Je soupirai brièvement, me demandant un instant si je devais engager la conversation ou si je n’en éprouvais définitivement aucune envie.

    « Quel… Quel âge avez-vous, Nina ?
    — J’ai vingt ans.
    — Oh ? Alors nous avons presque le même âge. J’en ai vingt-et-un, alors je… pense que nous pouvons nous tutoyer ?
    — Faisons ça si cela te suffit à être heureux…
    — Tu es assez, hum… Je ne veux pas que tu le prennes mal, hein, mais tu es assez intimidante !
    — Voyez-vous ça… » chantonnai-je doucement, levant à la fois un sourcil et un coin de mes lèvres.

    Il eut un léger rictus et un rire témoignant de son malaise auprès de moi. Je ne prenais pas mal sa remarque car j’en étais parfaitement consciente. Chacun son aura, que voulait-il… Mais je me ravisai. Finalement, les autres ne revenant pas, attelées à la confection du repas de midi – et peut-être même dans la joie et la bonne humeur –, je considérai qu’il serait préférable de poursuivre la discussion avec Liam. Mon cœur se mit à battre soudain un peu plus fort… Cela arrivait quand je me remettais en question indirectement. Comme à ce moment. Je n’étais pas obligée d’être amie avec lui comme je l’étais avec Sirius pour lui parler, de toute façon et puis… cela ne coûtait rien d’autre que de l’orgueil, tant le fait de passer à l’acte que de s’avouer que c’était nécessaire.

    « Comment connais-tu madame Evrephia ? »

    … Bien sûr, s’il en profitait pour rendre les choses encore plus complexes pour moi ! Il ne me demandait tout de même pas de lui raconter ma vie, si ? Et puis s’il y avait une personne avec laquelle je souhaitais me remémorer les vieux moments, les bons, ce n’était pas ce Liam mais Lëen Evrephia. Il sembla le comprendre.

    « C’est peut-être trop personnel, je suis désolé ! clama-t-il en se penchant en avant, même s’il était toujours assis.
    — C’est bon. C’était – simplement – mon ancien professeur de violon. Elle m’a donné des cours étant plus jeune et notre dernière rencontre remonte à plus de cinq ans…
    — Je comprends. Comme nous allons être partenaires et que nous sommes collègues au sein d’une même organisation, je voulais en savoir un peu plus sur toi. Madame Evrephia veut que nous fassions connaissance tous ensemble autour d’un repas, c’est de ma faute d’avoir voulu précipiter les choses… ! »

    Alors qu’il parlait, il serrait son poing et les traits de son visage étaient si fermes qu’il en avait les oreilles rouges. Quel étrange personnage… Il n’osait, en prime, toujours pas me regarder. J’allais finir par mal le prendre. Mais il poursuivit la conversation, plus ou moins tout seul, en vantant les mérites d’une organisation comme le Chrysokrone, tout en m’avouant qu’il rencontrait encore de nombreuses difficultés à mettre fin à des vies. Pourtant, soupirait-il, il en était membre depuis un an. Il me demanda si je ressentais les choses de la même manière.

    « S’il existait un pont humainement franchissable pour passer de notre monde, où les Hommes ne s’entretueraient pas pour leurs valeurs, à un autre au sein duquel les mots suffiraient à étendre le dessein du Chrysokrone, je l’aurais traversé plus volontiers. Malheureusement, il n’en a jamais été question… Alors je l’accepte et m’efforce de maintenir la loi du plus fort en ma faveur et celle de ma guilde.
    — C’est joliment dit… sourit-il, semblant d’être adouci. Même si je trouve tout de même triste de s’abaisser au meurtre, je le fais. Je sais qu’un jour où l’autre, je devrai tuer des stellans pour sauver mon pays, Bosco, et c’est pourquoi je suis ici, à Fiore. Comme tu l’as dit, les mots n’ont pas toujours, pas assez… trop rarement l’impact des armes.
    — Tu viens de Bosco ? »

    Une profonde détermination se lisait dans son regard, dans la manière qu’il avait de serrer les poings, de froncer les sourcils. Liam semblait doué de sa propre force qui le poussait à se battre pour ce à quoi il tenait. Son pays était piétiné de la même façon que ma ville natale cinq ans plus tôt. À la différence que c’était là un supplice perpétuel. L’entendre parler de son ancienne situation me hérissait le poil, ramenait à ma mémoire les pulsions tordues – mais ô combien légitimes – que je vouais à Stella, tout ce que ce pays m’avait fait perdre. J’étais certaine que si Liam et moi n’avions pas partagé cette haine, j’aurais coupé court à la conversation par ennui. C’était beau, quelque part. Je comprenais mieux comment les gens parvenaient à tisser des liens si même la haine pouvait constituer un fil assez solide. En tout cas, si seule la haine me permettait d’avoir des relations, Dirk avait sûrement raison lorsqu’il me réprimandait : je devais me faire du souci pour moi !

    « Rien que l’autre jour, une ville de la frontière Fiorienne dans laquelle j’étais en mission a été prise par Stella. C’est un peu gros comme terme, peut-être, mais le baron y est tombé au profit d’un noble à la botte de Yakmund. Enfin, officieusement, parce qu’officiellement, le premier est mort d’un cancer qu’il tenait secret. C’est loin d’être la première ville, en plus. (Il compta sur ses doigts) Pélican, l’an dernier, Dorine en 93, Gentiane en 92 et le pire que je connaisse dans la violence du coup d’état qu’elle a subi reste Shiero en 90. Et partout, ils ont réussi à bien camoufler leur vice, ça me rend ma-…
    — Attends, tu connais Shiero ?! »


    Ma voix était partie toute seule, avec un peu de retard le temps d’accuser le coup. J’avais réagi au quart de tour en entendant ce nom qu’aucun inconnu n’avait encore prononcé devant moi ! Si bien que je serrais désormais ses épaules, grâce à toute la force présente dans mes mains et mes bras. Penchée sur lui, le dos courbé, je ne pouvais voir mon propre regard mais, planté dans celui de Liam, il devait être plus intimidant encore que manque d’intérêt que j’avais porté à sa personne un peu plus tôt.

    « Tu connais Shiero ? interrogeai-je d’une voix anormalement grave.
    — Euh, j’y suis même allé… pour observer… on ne peut pas dire que je connaisse vraiment… Pourquoi ?
    — Je veux que tu me dises tout ce que tu as appris là-bas. Ce qu’il se passe. Qui dirige. Où. Mais pas maintenant. Je veux qu’on se revoie, après la mission. »

    Il rougit comme une pivoine sur mes derniers mots, vraisemblablement pas fichu d’interpréter une phrase correctement dans son contexte. Alors qu’il bégayait un « oui » vaguement sonore, un bruit bien plus conséquent, sourd, rompit le malaise qui se mua en crainte. Les murs de la maison avaient tremblé, des cris avaient résonné, et une lionne haute de plus d’un mètre et demi à vue de nez jaillit dans le salon par une paroi brisée. Visiblement, les installations du Chrysokrone avaient des failles… Cela m’aurait étonnée que quiconque des trois femmes parties en cuisine aient un talent négatif au point de faire sauter le quart d’un étage de manoir. Je lâchai instantanément Liam, invoquai mes armes. Dans ma main gauche, la dague en aethernium. À droite, celle en or noir. Quelques couteaux basiques formèrent un arc au-dessus de moi, dans mon dos. Shiero attendrait un peu… L’essentiel pour le moment était de protéger Lëen Evrephia.

    Alors que je m’en allais planter mes lames dans la nuque de la lionne, un nouveau tremblement eut lieu. Dans toute la maison cette fois-ci… Mais il n’était ni naturel, ni dû à une explosion de magie. Les murs ne se contentaient en réalité pas de trembler… Ils bougeaient ! Comme si elles avaient été des blocs montés sur une structure de rails en bois, des cloisons de métal descendaient du plafond pour se coller aux murs, juste derrière le mobilier. C’était donc l’amélioration principale dont nous avait parlé le professeur… Le sort des meubles fut de se retrouver enfermés dans des boîtes transparentes faites de magie. Le manoir de dame Evrephia devenait un véritable terrain de combat ! Devant moi, la lionne avait disparu. À sa place se trouvait une jeune fille aux oreilles et à la queue de chat, un genou à terre, reprenant son souffle. Quand le séisme cessa, la première chose qui me vint à l’esprit fut relative à mon pouvoir. Je me rappelai aussitôt de la nature du métal qui recouvrait maintenant l’ensemble des tapisseries. De l’acier. Aussitôt qu’elle eût passé la porte, la voix d’Amalie nous parvint, forte et claire malgré la toux qui la prenait de temps en temps, entre deux phrases.

    « Madame Evrephia s’est rendue sans sa chambre, elle est provisoirement en sécurité. (Elle toussa) Elle m’a confié une de ses boucles d’oreilles pour que nous puissions communiquer. Je vais vous dire mon pouvoir ! Mes yeux peuvent capter les flots d’aethernanos ! Je les stocke et j’attaque avec : les tonfas dont je me sers sont dotés de cristaux me permettant de libérer un rayon de magie concentrée. Et je suis plutôt douée pour frapper avec mes jambes, je suis une combattante de mêlée ! s’époumona Amalie. À vous ! »

    D’accord, elle nous demandait de présenter nos pouvoirs… Comme le repas n’allait pas avoir lieu par ces circonstances, il était essentiel que nous nous connaissions pour savoir comment nous battre. Je pris la parole en premier, couvrant un début d’explication de la part de cette Lissa. Avant cela, le bruit d’un mur ou d’une porte qu’on cognait se fit entendre. Alors je déclamai hâtivement le principe de ma magie.

    « Je maîtrise le magnétisme. Je suis plus apte à mener un combat à mi-distance ou longue portée, car ma force physique n’est pas bien importante. Je suis aussi dotée d’une rune augmentant l’agilité et la vitesse pendant quelques secondes voire minutes, mais je ne l’ai utilisée que sur moi à ce jour.
    — Et moi je…
    — Quant à moi, rugit Liam en coupant à son tour la parole à Lissa, je suis capable d’amplifier les cinq de mes sens ! Les plus utiles en combat sont bien sûr l’ouïe et la vue, mais le toucher me permet de mieux ressentir les déplacements d’air. Simplement, ce n’est pas celui que je maîtrise le mieux. Et je me bats au corps-à-corps avec mon épée ! »

    Derrière nous, la fenêtre se brisa, nous l’entendîmes. Une bosse déforma le métal au même moment, ce qui signifiait que nous étions attaqués de l’extérieur également. Amalie nous rejoint dans le salon après avoir scruté les environs de la maison. Elle nous rappela que la chambre de Lëen Evrephia était dotée du système de sécurité le plus performant de tout le manoir. Scellement en acier trempé, renforcement magique sur trois couches et serrure inviolable sur une porte blindée. D’après elle, un assaillant avait jailli de la fenêtre entrouverte de la cuisine, d’abord minuscule puis grand comme un homme d’un mètre quatre-vingt, et les avait attaquées à coups d’explosions. Evrephia avait pu être évacuée dans ses quartiers et Lissa s’était chargée de le combattre. À l’heure actuelle, il était enfermé dans la cuisine et au moins un de ses alliés se trouvait dans le jardin, essayant d’entrer.

    « Et moi je me métamorphose, bon sang ! hurla Lissa d’une voix trop aiguë pour me plaire – comme si l’on n’avait pas compris sa magie, qui plus est. Je peux devenir un animal ou un objet mais attention, rien de trop conséquent ! Le mieux que je puisse faire est de devenir une belle et grande lionne, comme vous l’avez vu ! L’inconvénient est que cette apparence ne me tient qu’une minute et qu’il me faut un intervalle identique avant de la reprendre.
    — Et notre informatrice qui ne nous apporte aucune information… J’espère qu’elle se montrera bientôt... »

    Amalie ne put être mieux servie puisque la boucle d’oreille qu’elle portait s’alluma aussitôt ses mots prononcés. Une voix féminine et haletante s’adressa à Evrephia, lui signifiant qu’elle n’avait pas eu vent de l’envoi de deux sbires Confirmés au manoir. Quand Liam eut pris la parole pour lui faire comprendre qu’Evrephia n’était pas la seule à écouter, elle soupira, comme rassurée, et reprit d’une voix calme.

    « La guilde noire Apothéose se trouve à dix minutes à pied de la banlieue d’Era où se trouve le manoir, en prenant le chemin dans la forêt, celui qui mène à l’Est, enfin si vous courrez. Une trappe mal cachée aux abord d’un saule : elle vous mènera au sous-sol qui constitue la guilde qui regorge actuellement de tout le menu-fretin, de trois sbires du niveau de ceux qui vous attaquent et le maître, plus puissant, qu’on pourrait aisément catégoriser Aguerri. Je tâche de vous rejoindre aussi vite que possible mais je préfère faire un peu de ménage avant d’être repérée.
    — Comment saurons-nous qui tu es ? demandai-je sur un ton de méfiance. Présente-toi autrement que par ton nom.
    — Un peu plus de politesse ne serait pas de refus, mademois-… »

    La communication fut coupée. La correspondante avait dû se faire remarquer, et pas qu’un peu. Les questions que nous nous posions, Amalie, Liam, Lissa et moi étaient maintenant de savoir comment nous devions reconnaître notre alliée en la voyant, et si nous devions foncer à la guilde ou rester ici pour protéger Evrephia. Nul ne pouvait prédire que la sécurité ultime le reste bien longtemps si des renforts plus puissants que ceux qui nous traquaient arrivaient sur place.

    « Ils sont plus faibles que nous. Moi, je dis que l’un d’entre nous devrait rester ici. S’ils ne sont que confirmés, ils ne devraient pas causer trop de tort… Les trois restants se rendraient à la guilde, rejoindraient l’autre, là, et attaqueraient. Quoi ? Dites-le tout de suite si ça vous étonne que je dise des trucs intelligents !
    — Mais non. On n’aurait pas osé, ricanai-je, masquant mon rictus de quelques doigts.
    — Alors toi… Mon père est maître d’une guilde importante, figurez-vous ! Je m’y connais en comb-…
    — Quel insigne honneur. Je me propose pour rester ici et protéger madame Evrephia. Si cela ne vous pose aucun problème, ajoutai-je hâtivement une seconde plus tard, tâchez de faire le ménage parmi les résidus de magiciens d’Apothéose. Quand j’en aurai fini ici, nous pourrons nous charger de ceux qui sont un peu trop coriaces. »

    Mes trois alliés acquiescèrent et ne perdirent pas de temps. Liam me souhaita bonne chance et Amalie bon courage avant de courir vers la sortie dont la boucle d’oreille était la clé. Le temps que l’information me monte au cerveau, ils avaient déjà disparu de mon champ de vision. Il fallait dire que je n’étais pas vraiment accoutumée à cela… Bref. Une légère brise fit virevolter quelques mèches de mes cheveux. Un trou béant s’était formé dans la paroi de métal censée protéger et les murs, et les fenêtres. Visiblement, l’un des deux souris que je devais chasser agitait son museau dans mon dos. Je n’eus même pas besoin de me tourner pour m’en apercevoir. Je me contentai de jauger son potentiel aethernanique. C’était bel et bien un mage Confirmé, mais des plus faiblards. Plutôt que moi, ce fut à mes dagues de s’orienter vers le mage noir. Une quinzaine de lames pointées vers lui et aucun tressaillement dans sa voix, aucun mot prononcé.

    Si je ne lui faisais pas grâce de mon regard, c’était parce que les bruits de pas de son comparse se faisaient entendre dans le couloir. Le bougre avait réussi à s’extirper de la cuisine, ce qui me forcerait à affronter les deux mages en même temps. Pas que cela me fît trembler, bien entendu… Je soupirai juste d’impatience car cela prendrait forcément plus de temps que s’ils avaient été seuls. Si je voulais expédier ce combat, je devais faire usage de ma rune et m’assurer une protection le temps de les abattre grâce à deux Merry Go Round biens sentis. Quand le mage noir quitta son corridor pour nous rejoindre, son partenaire et moi, dans notre beau salon métallique, le reste de mes couteaux forma un nuage dans mon dos. Si j’arrivais à me débarrasser de ces champignons de latrines en moins de dix minutes, je pourrais courir aux côtés d’Evrephia.

    Cette pensée me poussa à ne pas répondre aux salutations de mon nouvel adversaire. Je préférai incanter Ùr et parer mon dos d’un bouclier de lames. D’un saut, je bondis sur le blondinet en face de moi. Il n’esquiva pas totalement et reçut un coup de ma dague en plein dans l’épaule. Faute de perdre sa carotide, son nerf supra-scapulaire gauche fut tranché par l’or noir.

    « Tu es sûr que tu veux continuer avec un bras en moins ? Si tu hésites à abandonner, je peux te couper le second pour orienter ton choix.
    — Ne fanfaronne pas trop, petite, contente-toi de brûler ! »

    Un jet de flammes lapa mon dos protégé par mes dagues. Dans l’instant même où je ressentis leur chaleur un peu trop près, j’empoignai le bras invalide de mon premier adversaire en me baissant alors qu’il m’assénait un crochet du droit. Avec une main beaucoup trop grande d’ailleurs, comme si elle avait été décuplée. M’en servant comme d’un balancier, il prit ma place dans la gerbe ardente et me permit par ailleurs de gagner suffisamment d’élan pour passer derrière le mage de feu. À ce moment-là, aussi vite que mon corps et ma rune me le permettaient, j’enfermai le pyromancien dans une sphère magnétique en rotation. Quand je la repoussai vers le mur d’acier, aidée considérablement par sa nature magnétique, il percuta et happa son comparse, à son tour piégé dans la même sphère. Ils étaient alors sous mon contrôle. Mes dagues encore vaguement tièdes se délogèrent de leur position et vinrent décorer la zone d’action de Merry Go Round que j’activai aussitôt.

    J’aimais comme je menais ce genre de combats. De manière rapide et efficace. J’eus juste la négligence de marcher dans le hachis Parmentier juste à côté de la porte en me rendant sous son cadre. Dans une grimace de dégoût, j’essuyai ma chaussure teintée de rouge sur la veste d’un des gisants et m’en allai trouver la chambre de Lëen Evrephia. Ce ne fut pas si difficile à vrai dire : les résistances magiques se voyaient aisément sur la porte par leurs reflets irisés et nacrés. Je n’allais pas me risquer à les frôler du doigt, ainsi me contentai-je d’appeler à haute voix mon ancien professeur.

    by Nina

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    Re: [Mission – Expérimentée] Mission personnalisée - Amitiés par Nina Andersen Jeu 29 Déc 2016, 23:58
    Nina Andersen
    Nina Andersen
    Briseuse de Mythes








    Mission 5



    Amitiés (partie 2)

    « Professeur Evrephia, c’est Nina ! M’entendez-vous ? (Suite à une affirmation à peine audible, je poursuivis) Je me suis débarrassée des malfrats que la guilde Apothéose avait envoyés ici… Les autres doivent se trouver à la guilde à l’heure qu’il est, je dois donc les rejoindre au plus vite. Mais je veux m’assurer que vous soyez en sécurité avant cela… Pourriez-vous m’ouvrir ? Amalie a emporté votre boucle d’oreille… »

    Quelques longues secondes après, les mécanismes se débloquèrent et la porte s’entrouvrit. Je pus entrer en la poussant un peu plus, invitée par Evrephia. Elle referma la porte derrière elle, me poussant poliment à m’asseoir sur la chaise près de son lit. Je tirai le fauteuil miniature un peu plus près du matelas en voyant qu’elle s’asseyait dessus et pris place à mon tour. Elle me dit merci et pris une grande inspiration.

    « Je t’en prie, maintenant que tu es adulte, appelle-moi Lëen, Nina. J’ai cru tout un tas de choses au début. Que tu étais morte avec ta sœur dans l’incendie de ta maison. Tuée par la milice. Enlevée par les Stellans. Mais en fait tu étais vivante depuis tout ce temps.
    — Grâce à Dimitri, souris-je doucement.
    — Le jeune majordome ? Heureuse d’apprendre qu’il est vivant, lui aussi. »

    Mais à ces propos, mon sourire s’affaissa. Je n’en savais rien… Il en allait de même pour Élia. Je ne savais rien. Evrephia s’excusa. Aussitôt dit, aussitôt fait.

    « Nina, je sais que tu dois rejoindre tes collègues à Apothéose. Mais pourrais-tu s’il te plaît accéder au désir égoïste d’une vieille femme malade ?
    — E-Eh bien… bredouillai-je, prise au dépourvu. Oui, bien sûr pro-… je veux dire, Lëen. Tout ce que vous voudrez.
    — Te souviens-tu, à tout hasard, de l’avant-dernière mélodie que je t’aie apprise ?
    — Vous voulez dire la première fois où vous ne m’avez pas réprimandée sur mon jeu même après une seule semaine d’étude ? Cela remonte tellement mais comment pourrais-je oublier ! J’étais si fière…
    — Te sentirais-tu capable de la rejouer ? »

    À vrai dire, je ne m’étais pas beaucoup exercée au violon depuis un certain temps. Trop longtemps, même. J’étais assurément rouillée et surtout, je n’avais pas la partition. Elle avait péri comme tout le reste cinq ans plus tôt, et je ne la connaissais plus assez bien pour la reproduire avec fidélité. Lëen se leva alors, doucement, et d’un pas traînant se rendit face à un petit coffre posé auprès d’un pupitre à partitions. Elle en sortit un petit paquet de feuilles reliées. Deux, en fait. Je le vis après qu’elle l’eut séparé en jumeaux. Elle en posa un sur le pupitre et se dirigea vers le piano à queue posé à peine plus loin, puis s’y assit. Quand elle m’invita à prendre l’étui noir de jais à côté du coffre, je compris qu’elle voulait réellement que je joue.

    « J’aimerais que tu chantes, aussi, Nina. S’il te plaît. » sourit-elle avec un espoir auquel je ne pus résister.

    Alors j’échauffai ma voix, travaillai la souplesse de mes doigts. Puis je sortis le violon de son étui. Un magnifique instrument, vieux mais parfaitement entretenu, aux cordes en parfait état et prêtes à l’emploi. Pas trop rigides, pas trop souples, juste parfaitement réglées et dignes de la meilleure violoniste qu’il m’ait été donné d’entendre. Et qui n’était pas des plus mauvaises au piano également. Je jouai une mélodie d’échauffement pour reprendre le biais. Ce fut laid. Puis peu à peu, je repris la main et intimai à Lëen que j’étais prête à commencer si elle l’était également.


    Le piano chanta le premier, moi à sa suite après quelques accords. Manqueraient quelques instruments, mais qu’importait. Lëen et moi les remplacerions à notre façon. C’était une mélodie douce, dans une langue fictive. Mais chaque mot me revint, comme d’instinct, et je fus capable de chanter. Je ne voulais pas la décevoir ici ou ailleurs, ni elle ni personne. Je ne comprenais seulement pas pourquoi je laissais mon cœur primer sur ma raison cette fois-ci. D’autres mages du Chrysokrone risquaient leur vie au sein d’une guilde noire au maître plus puissant. Et moi, je me tenais là, paisible, à chanter et jouer au violon la mélodie de mes quinze ans aux côtés de celle qui me l’avait apprise. Quel égoïsme. Mais un sentiment si profond m’envahissait à ce moment-là, avec tant de nostalgie que je m’y laissais prendre…

    Pour une fois depuis si longtemps, je me sentais faire corps avec mon instrument. J’avais l’impression d’être emportée par une mélodie que je ne jouais pas moi-même, qui m’était supérieure, transcendante. Je ne pensais pas être capable de jouer aussi bien après tout ce temps sans sérieusement tenir un archer. C’était comme si on guidait mes doigts pour me permettre de m’oublier un instant. Pour que je puisse respirer un peu, en contact avec mon passé. Comme si je ne l’avais jamais perdu. Comme si la pièce dans laquelle je me trouvais était la salle de musique entre ma chambre et celle de ma sœur, où Dimitri venait m’écouter jouer quand il n’était pas trop occupé.

    Je me sentais apaisée, vivifiée, sereine. Les sons qui s’envolaient agissaient sur moi comme l’étreinte d’un être cher.

    Détendue, placide. Il n’y avait plus ni mages noirs, ni Chrysokrone, ni guilde, ni ténèbres.

    Entière. Comme un doux mensonge, comme si je n’allais jamais plus être seule. Quelle sensation étrange…

    La mélodie se termina trop tôt. Mais Lëen ne sembla pas rencontrer autant de difficultés que moi à quitter notre monde hypnotique. Elle se leva, le pas las, et se rendit à son lit où elle s’étendit. Elle était raide... Je la rejoins une fois les bribes de mon univers brisées aussi facilement qu’une coupe de cristal. Mes sourcils tombèrent légèrement quand j’aperçus sa pâleur. La blancheur que prenait son teint faisait ressortir les rides que je n’avais presque pas vue à notre rencontre.

    « C’était la mélodie préférée de ta mère, tu sais ?
    — De ma mère ? J’ignorais qu’elle jouait du violon…
    — Et elle en jouait comme toi. Surtout cette musique-là. Elle la connaissait sur le bout des doigts et te l’interprétait souvent, à ta sœur aussi d’ailleurs.
    — Je n’en ai aucun souvenir. »


    Elle n’avait pas effacé son sourire, mais il était devenu solide. Je ne l’entendais plus respirer, c’était malaisant.

    « Je te remercie, Nina, encore. D’avoir accédé à ma dernière volonté. »

    … Pardon ? Que voulait-elle dire ? J’avais sûrement un peu trop peur de comprendre, mais mes œillères étaient perforées.

    « Disons que je pensais avoir un peu de répit, encore. Mais cette maladie est une vraie peste… Je suis désolée qu’elle ait décidé d’en finir aujourd’hui, en secret, alors que vous étiez censés me protéger. Mais au moins, je ne suis pas seule dans mes derniers instants, n’est-ce pas ? J’aurais tant aimé te parler plus longtemps mais je t’en prie, ne crois pas que tu aies échoué, Nina. Il y a des choses contre lesquelles on ne peut rien. File plutôt rejoindre tes camarades. »

    Son sourire doux, presque naïf, m’arracha un rictus et des tremblements. Du stress. Mes lèvres, cependant, tombèrent avant les siennes. Dans le même élan, ses paupières furent closes et sa poitrine affaissée. Je tenais fermement sa main dans la mienne mais elle ne serrait plus mes doigts. Elle se contenta de murmurer.

    « Quand tu reverras Dimitri et Élianore, salue-les de ma part. Je suis sûre qu’ils sont en vie. Prends soin de mon élève, Alithéia, d’accord ?
    — Je n’y manquerai pas, Lëen. »

    Silence. Je ne me tournai même pas vers la voix, nouvelle à mon répertoire, pas même surprise de son apparition, trop occupée à positionner correctement le corps de Lëen. Quand je me levai pour récupérer le violon et le poser dans ses mains, la tête haute, je pris tout de même la parole.


    « Je suis navrée que notre première rencontre se fasse dans de telles conditions, Dame Alithéia.
    — Le temps fait son œuvre. Il y a des choses contre lesquelles on ne peut rien. A-t-elle dit. »

    Il n’y avait pas de colère dans sa voix. Elle était grande et ne baissait pas les yeux, maquillée simplement d’un léger sourire qui me mit un peu de baume au cœur. Éminente. Sage. Tout comme elle, je ne pleurais pas. Mes yeux étaient secs comme à leur habitude, mon pouls était redevenu régulier. J’aurais aimé la pleurer, mais j’avais à faire. Je croisai le regard de la Dame quelques secondes durant. Un sourire, un regard, me suffirent, j’espérais, à lui communiquer ma détermination à faire périr ceux qui voulaient du mal à Lëen Evrephia et à d’autres gens comme elle.

    Je ne tenais pas à m’attarder dans cette chambre aux murs froids. Je devais, par mes actes, signifier mieux qu’avec des mots à quel point j’avais assimilé mon devoir. Mes objectifs plus clairs, je passai la porte d’entrée encore déverrouillée et me mis à courir vers cette forêt que mes pas avaient déjà foulée. Cette fois cependant, je n’avais plus peur.

    Peut-être bien dix minutes plus tard, après avoir remué la terre du chemin menant à l’Est, c’était un peu essoufflée que j’empoignai la trappe. Une fois soulevée de toutes mes forces, car elle était lourde, en bois noble, je descendis l’escalier qu’elle recouvrait. Un corps jonchait un peu plus loin, maculé de sang, tailladé sur toute la longueur. C’était sûrement l’œuvre de Liam… J’entendais des cris un peu plus loin, les échos d’une bataille en cours. J’espérais qu’ils m’avaient laissé de quoi m’amuser un peu car j’en avais bien besoin. À cette pensée, je secouai vaguement la tête de gauche à droite, comme pour la chasser. C’était mon devoir, pas un jeu.

    Au terme du petit passage souterrain se dressait une porte ouverte. Et à l’intérieur, de la foudre, des flammes, des hommes et des femmes qui se battaient à corps perdus. Quand j’entrai, beaucoup de corps jonchaient déjà les lames du parquet. Une vingtaine de morts tapissaient la salle de taverne et je n’en vis aucun semblable à Amalie, Liam ou Lissa. Je sentis la présence d’un individu à ma droite, hors de mon champ de vision, et le tranchant de mon aethernium se prépara à l’accueillir comme il se devait. Un jeune homme, peut-être un peu plus jeune que moi, mais aussi beaucoup plus faible. Ils n’avaient donc pas essuyé tous les Apprentis…

    Alors je tâchai d’éliminer les restes. Son odieux gourdin pareil à celui d’un ogre ne m’atteignit pas. J’étais passée sous son bras tendu et me retrouvais dans son dos, désormais hérissé d’un poignard là où il ne fallait pas. J’aperçus Amalie un peu plus loin. Elle se distinguait des autres mages par les rayons qui sortaient de ses tonfas et détruisaient tout sur leur passage. Dégageant de ma route quelques jeunes magiciens un peu trop téméraires à coups de fouet métallurgique, je la rejoins et lui demandai l’état de l’assaut.

    « Nina ! Te voilà enfin ! Je nettoyais justement les Apprentis restants… Faute d’être coriaces, ils sont nombreux ! »

    Elle donna un coup de pied au beau milieu du visage d’une mage d’âge mur. Celle-ci, pour riposter, tenta d’augmenter la pesanteur autour de nous mais son sort fut trop faible. Je pus m’en dégager facilement et m’en débarrasser avec la même aisance, tandis que ma camarade aux yeux magiques brisait la nuque d’un garçon en face d’elle. Il ne restait plus personne en état de se battre dans la taverne. Nous reprîmes notre souffle quelques instants et elle poursuivit son compte rendu.

    « Liam et Lissa se battent à l’arrière contre les sbires les plus puissants. Le maître d’Apothéose ne semble pas se trouver sur place mais il pourrait arriver à tout moment… Je pense que depuis le temps, ils sont venus à bout des Novices mais rien n’est joué. Autre chose : on n’a pas trouvé l’infiltrée…
    — Je vois… Nous devrions retrouver les autres et nous débarrasser d’autant de mages noirs que possible. Plus nous aurons d’ennemis face à nous lorsque leur chef arrivera, plus nous aurons de difficultés à le battre…
    — C’est vrai. Comment va madame Evrephia ? »

    Je pris quelques secondes pour répondre, mais je fixai ses iris. Il n’y avait pas à mentir. Dire la vérité pourrait même la galvaniser. Je tâchai que ce soit le cas.

    « Sa maladie l’a emportée, j’en ai bien peur… soufflai-je face à l’air consterné d’Amalie. Il faut absolument que nous détruisions cette guilde qui a voulu lui causer du tort. A-Alors… rougis-je en prenant la main de mon alliée. Ne traînons plus ici et partons accomplir notre mission. Pour elle. »

    Amalie finit par renforcer les traits de son visage abîmé par les coups et la sueur et me sourit. Alors que c’était moi qui lui avais pris la main, sans réellement y avoir réfléchi, et m’apprêtais même à la lâcher, ce fut sous sa force que je me mis à courir. Elle défonça la porte et espéra que Liam et Lissa allaient bien. La fine paroi se dégonda et nous passâmes. Dans la foulée, je fis glisser ma main hors de ce contact un peu trop gênant et un peu trop durable. Et puis, j’en aurais besoin pour la suite.

    Celle-ci se présenta rapidement. La pièce la plus importante était la taverne car elle se devait capable accueillir presque une centaine d’individus. Le reste de la guilde se voyait considérablement réduit, comme le garde-manger dans lequel nous pénétrâmes une fois la première porte du couloir traversée. Une lionne à la robe tâchée de rouge était à bout de souffle. Sous mes yeux, je vis l’animal se muer en humaine et Lissa nous apparut.

    « Bah enfin… Vous en avez mis… du temps… !
    — Liam n’est pas avec toi ? » demandai-je en observant les alentours.

    Une dizaine de corps se trouvaient çà et là étendus. Lissa nous signifia qu’ils s’étaient perdus de vue en ayant voulu se séparer. La jeune fille avait vaincu quelques Novices qui accompagnaient le bien bas élite d’Apothéose. En théorie. Un mage noir jaillit du mur par-delà l’étagère où semblaient avoir siégé des fruits et légumes. Il s’empara d’Amalie par le cou et la tira vers lui. Si son corps passait volontiers au-travers des briques et du bois, celui de la plus âgée d’entre nous n’était pas doué de telles capacités et son crâne bomba un angle. Sans pour autant qu’elle s’évanouisse, son équilibre fut fortement perturbé... Lissa poussa un cri et transforma sa main en lame acérée. Je voulus attaquer l’assaillant à mon tour, mais je me rappelai que Liam se trouvait seul contre le reste de la guilde.

    « Je vous laisse vous débrouiller avec lui, nous sommes trop ici alors que Liam est seul ! »

    Et en leur souhaitant bon courage, je me ruai à l’autre bout du couloir. Une bonne vingtaine de mètres me séparaient de la porte opposée mais je m’y rendrais rapidement en courant. C’était ce que j’avais commencé à faire lorsqu’une porte subsidiaire claqua le mur, frôlant mon épaule qui aurait pu subir beaucoup plus à quelques millimètres près. De l’antre surgit une femme, jeune, qui me fonça dessus sans que mes réflexes me permissent une esquive ! Je chutai droit au sol, le souffle coupé par la violence du choc. Son corps était sur moi et le manche d’un petit sceptre menaçait d’écraser la base de mon cou. Pour me défendre, j’invoquai des dagues depuis ma dimension de stockage. Chacune pointées sur un point vital dans le dos de l’individu, l’aethernium qui se trouvait dans ma main effleurait l’emplacement de son estomac.

    « Plus un geste. Je vous aurai tuée avant que votre misérable bâton n’ait le temps de briser quoi que ce soit.
    — Alors ne bougez pas non plus. Je reconnais votre voix, vous êtes l’impolie de tout à l’heure, je me trompe ? (Elle desserra son emprise sur moi) Je ne pense pas vous avoir oubliée en si peu de temps.
    — J’en conclus que tu es – je me permets de te tutoyer comme les autres – l’infiltrée, le cinquième membre du groupe.
    — Mon nom est Agnès Greenland. Je viens d’arriver par une entrée secondaire et cachée. Je devais vous mettre au courant de l’arrivée imminente de Goliath, le maître de cette guilde. »

    Agnès Greenland

    Elle se releva sans me proposer de l’aide pour me remettre sur pied. Pff, je ne l’aurais pas acceptée de toute façon. Je présentai tout de même à mon tour mon nom et terminai par mon pouvoir. Le sien était de modifier la taille et la densité des objets qu’elle touchait, en l’occurrence un court sceptre et un bouclier de petite taille. Je l’envoyai vers la position d’Amalie et Lissa, ayant assez perdu de temps avec son intervention. Avant de me remettre à courir, je jetai un dernier œil pour vérifier qu’elle se rendait bien à l’endroit convenu. Voyant ses dernières mèches bleues disparaître derrière la porte, je poursuivis.
    Les dortoirs. Assaillis de corps une fois de plus, je ne prêtais plus la moindre attention à ce macabre décor à force de l’avoir vu et revu en si peu de temps. Les cris de Liam étaient plus proches à mesure que j’avançais et après seulement quelques pas, j’entendis mon nom résonner.

    « Nina, je suis là ! »

    Je supposai qu’il m’avait entendue, mais je demeurais soucieuse de savoir comment il m’avait reconnue. Qu’importait. Une nouvelle porte frappa les murs et j’entrai dans le champ de bataille. La paroi séparant deux chambres avait été brisée et l’épéiste, le front en sang, tenait à peine debout face à six mages. Deux d’entre eux étaient en pleine forme et, lorsqu’ils me virent arriver, se jetèrent sur moi sans préavis. Je pivotai sur le côté pour éviter le poids d’une masse et armai ma main gauche d’une dague d’or noir. Serrant les manches de chaque lame entre mes pouces et mes paumes, j’écartai les doigts et tendis les mains sur mon premier assaillant qui était aussi le plus rapide. Il fut pris par la force de la première zone de Merry Go Round mais pas par la seconde, car son comparse avait fondu sur moi, agrippé mes épaules et déchargé la foudre dans mon corps. Malgré la protection assurée par mes aethernanos, je poussai un grand cri de douleur et mon cœur s’accéléra comme jamais. Mes genoux frappèrent le sol : le courant avait été coupé par une grande épée, celle de Liam. Je le regardai, paniquée mais reconnaissante, haletant encore.

    « Je ne sais pas ce que tu étais en train de faire mais je t’en prie, continue ! »

    Galvanisée par peu de choses visiblement, je tendis ma main et achevai mon attaque sur le sbire qui n’avait pas été assez futé pour bouger. Il fut aplati au sol dans un craquement osseux tandis que mon allié terminait le quatrième et dernier mage noir. Une fois ceci fait, il planta son épée à côté de moi et s’accroupit pour reprendre son souffle.

    « Tu vas bien ? Merci, d’ailleurs.
    — Je crois qu’on ne m’a jamais autant remerciée qu’aujourd’hui. J’imagine que je le mérite, souris-je, victorieuse. Et oui, je vais bien. Sans l’effet de surprise, j’aurais sûrement pu me préparer… Mais n’en parlons plus. Allons plutôt retrouver les autres, le maître de feu cette guilde ne devrai plus tar-... »

    Quand on parlait du loup, les murs en tremblaient de peur.


    « Liam… Je vais être directe, peut-être un peu brusque… commençai-je en gardant sa main qui m’avait aidée à me relever. Mais dame Evrephia n’a plus à être protégée pour la simple et bonne raison que sa maladie l’a emportée. Je suis désolée, mais nous devons en finir avec toute cette histoire. Retrouvons les autres. Te sens-tu prêt à accomplir notre apothéose ? »

    Il sembla surpris de ma réplique, mais nous sourîmes ensemble lorsqu’il me rendit ma détermination. Sans nous fixer plus longtemps, nous rejoignîmes le couloir où se trouvaient déjà les trois filles. D’un accord tacite, nos pas nous pressèrent à la taverne. Une silhouette immensément maigre nous toisait de toute sa hauteur. Ressentir son émanation aethernanique nous suffit à nous assurer de son identité. Face à nous, Goliath, le maître de cette guilde réduite en poussière. Il nous apostropha de sa voix fatiguée, blasée, mais étonnamment caverneuse. Elle ne lui seyait pas le moins du monde, mais cela tombait bien car nous allions nous assurer qu’il n’ait plus jamais à l’utiliser.

    « Tout ça pour préserver les richesses d’une violoniste sur le déclin. Une chose est sûre, vous avez détruit ma guilde. Qui que vous soyez, je ne vous laisserai pas partir entiers d’ici. »

    Les portes se figèrent et les corps toujours étendus sur le sol se flétrirent. Un immense cercle incantatoire se déploya dans la taverne, la balayant d’une lumière ambrée de noirceur et de haine. Sous lui, les cadavres devinrent purement et simplement des tas de sable brun. Un psammokinésiste… Lissa ébruita un conseil.

    « J’en ai déjà affronté un de son genre. Ne vous laissez surtout pas toucher par le sable, c’est impératif. »

    Je reculai alors de quelques pas lorsque les tas de sable s’unirent autour de Goliath, formant comme des ondes sur le sol sali. Si j’arrivais à le maintenir dans une zone magnétique, je pourrais le déstabiliser, laissant la possibilité aux combattants de mêlée de le frapper. Je fis part de cette stratégie au groupe qui acquiesça, Amalie promettant de me faire gagner du temps. Elle pointa son tonfa vers le mage noir et aussitôt, une gerbe rosée fusa sur lui à une vitesse impressionnante. Il se mura derrière une barrière de sable et riposta contre nous cinq, mais ce fut à Agnès de décupler la taille de son petit bouclier pour nous protéger d’une lance minérale trop acérée.

    Celle-ci s’éclata sur le métal et j’en profitai pour rouler derrière une table et me faufiler jusqu’à lui. Je faisais de mon mieux pour masquer mon dégagement magique et profitai de cet acte pour concentrer les aethernanos en moi. Je n’étais pas une adepte des longs combats. Je priai pour que celui-ci se termine vite et bien. Devant moi, Goliath jouait avec son sable comme s’il faisait partie intégrante de lui. Je vis Liam se frapper à une table dans le désespoir d’une esquive qu’il n’avait pas pu correctement anticiper. Malheureusement, sa jambe fut touchée et la matière s’enroula autour de son mollet. Il hurla et un craquement résonna. Le sable broyait ses os.

    Lissa se métamorphosa en lionne et bondit derrière Goliath pour lui asséner un coup de patte. Le sable entoura l’ennemi pour le protéger au sein d’une sphère. La jambe de Liam fut libérée mais aussi présentée à notre vue, rongée, la peau sèche comme un talon après avoir trop marché. Je comprenais mieux pourquoi il ne fallait pas qu’il nous touche…

    « Ce sable n’est pas très efficace, n’est-ce pas ? Les corps étaient encore frais, je parie que c’est la raison pour laquelle votre pouvoir n’est pas à son maximum ! » le nargua Amalie.

    Cela eut pour effet de tourner son attention sur elle. Il pouffa, assuré de pouvoir nous vaincre malgré cela, et s’occupa de l’attaquer, négligeant un second coup de patte de la part de la lionne. J’en profitai pour décharger tout ce que j’avais préparé pendant ce temps sur lui sous la forme d’une sphère magnétique en rotation. Lissa passa d’une forme féline à celle d’une boule ornée de pointes et s’immisça, comprenant ce que je venais de faire. Mais l’homme commença à former une bogue de sable autour de lui, de diamètre inférieur à ma zone d’action… J’eus comme seul réflexe de fondre sur lui dagues en main et d’entrer dans son dôme de sable avant qu’il ne se referme sur nous. Mes lames caressèrent sa glotte et je le menaçai.

    « Si vous ouvrez votre bogue, vous découvrirez l’utilité de mon champ magnétique à vos dépends. Bien entendu. C’est entre vous et moi pour un temps. »

    Cette bogue était étroite. Trop petite pour nous deux. Le silence. Des appels de mon nom, dehors. Des coups portés à la coquille. Violents, lourds, en vain. Je ne voyais plus que lui, cible à abattre, trancher de ma main. La bogue fut recouverte de couteaux, une pellicule. Tournants, ils bloquaient l’usage du sable. Je souriais, déterminée. Une des lames appuyait un peu plus contre sa gorge. Une vieille odeur de roche. Lui ne cillait pas, droit, trop grand. Je voulais le trancher. L’écourter. Lui faire payer le prix de la magie noire. Et cher. Pour Lëen, le Chrysokrone, ma guilde, ma maison. Rien à dire de plus. Une tension s’était installée. J’appuyai encore ma lame. Encore. Encore. Jusqu’au sang. Sa tête tomba. Roula sur la paroi tranchante de la bogue. Puis elle se désagrégea, tout comme son corps, en un sable beige. Un piège. Un jeu d’enfants. Quelle honte… J’avais été trop confiante. J’étais seule dans la bogue.

    Mais alors que je pensais subir de graves blessures par ma sottise, le temps que je croyais arrêté reprit son cours. J’étais trempée !

    « Alors, elle est pas belle, Lissa, en pompe à eau, espèce de vieux lézard terreux ?! », ricana Amalie moyennant décibels.

    Effectivement, un tuyau d’arrosage vert pâle relié à une pompe à piston magique de la même couleur trônait dans les mains de la mage blonde et ondulait même de son propre chef.

    « Ouais bah permets-moi de reprendre mon apparence parce que j’me sens pas bien, là ! J’ai la gorge sèche... ! »

    Et Lissa réapparut sous mes yeux. Mon esprit venait à peine de comprendre qu’ils avaient utilisé de l’eau contre la bogue rocheuse pour m’en libérer que Liam s’élança depuis ma gauche pour planter son épée dans la chair de Goliath. Je me retournai aussitôt : l’homme avait réapparu derrière moi et s’était préparé à m’attaquer de nouveau. Je reculai d’un bond, profitant de sa blessure pour régénérer la zone magnétique tout autour de notre ennemi, car elle avait disparu, brouillée par les aethernanos de Goliath. La fureur d’avoir été touchée au plus profond de ma fierté par cet homme composait le regard que je lui lançai lorsque Liam trancha d’un coup ses deux nerfs sciatiques par une coupe en croix. Tombé au sol, miséreux à son tour, je ne comptais pas le ménager pour autant.

    Please die, Sir.

    Je relevai mes bras lentement, soulevant avec eux l’ensemble des couteaux et dagues qui jonchaient le sol. J’en rajoutai même, de toutes formes et de toutes tailles, tout droit extraites de ma dimension de stockage ouverte sur le parquet sablonneux. Les grains n’eurent pas le temps de s’éparpiller : l’ensemble des lames fit partie intégrante du Merry Go Round qui le fit danser. Sa valse s’arrêta lorsqu’il retomba au sol, s’empalant sur l’épée de Liam que j’avais empruntée… plus ou moins par surprise. Mais je tenais quand même à vérifier. En lui jetant un regard noir, je froissai son crâne de ma semelle. Aucune réaction. Mon visage adopta alors des traits satisfaits et dans un soupir, je me retournai vers Amalie et Lissa, hochant la tête comme un signe de victoire.

    Elles portaient sur leurs épaules une Agnès sonnée à la joue entaillée et fripée. J’appris que lorsque j’étais dans la bogue, elle avait tenté de la briser mais s’était faite frapper de plein fouet par une excroissance sablonneuse. Elle manifestait sa frustration, prétendant ne pas avoir été « assez utile pour faire la fierté de dame Naksatralu ». Je ne pus empêcher un rire léger d’emprunter ma voix. Finalement, cette mission avait été riche en émotions… Mais nous l’avions menée à bien.

    « Félicitations. » souris-je à l’assemblée.

    * * *


    À l’orée de la forêt d’Era, avant d’atteindre les premières rues, quelqu’un nous attendait, mes alliés et moi. Une grande femme aux longs cheveux bruns et à l’aura remarquable. Alithéia Stryknos. Elle nous regarda avec bienveillance. Mon cœur manqua un battement quand elle tourna son regard sur moi en particulier, mais je me repris en constatant qu’elle posait ses yeux sur chacun de nous, tour à tour. Dans le sac de toile qu’elle tenait dans sa main droite se trouvait la récompense, trahie par un tintement caractéristique.

    « Je compte sur vous pour partager la récompense équitablement. Vous avez été braves et forts et je vous remercie en mon nom propre et celui du Chrysokrone. Et soyez certains que vos visages et vos noms ne seront pas oubliés. Ce serait mal me connaître que de penser le contraire. »

    Elle nous sourit et nous la remerciâmes en chœur. Sans que je comprenne pourquoi, elle resta avec nous lors de la répartition de la récompense. 600 000 Joyaux par personne, soit le cinquième du total, bien évidemment. Heureusement que mon porte-monnaie était perpétuellement au chaud dans ma dimension de stockage…

    Nous nous séparâmes peu après, chacun empruntant un chemin différent dans les rues de la cité universitaire. Seule la Dame resta avec moi un instant de plus.

    « Lëen a souhaité dans son testament que sa crémation ne soit pas une cérémonie pompeuse. Extrêmement peu de gens y seront, chacun en lien avec le Chrysokrone. Ce sera mon cas. Je pense que tu peux t’y rendre également, en tant que son ancienne élève.
    — S’il m’est permis d’y prendre part je le ferai. Pour lui rendre un dernier hommage, souris-je doucement, quoiqu’un peu tristement.
    — Une missive te communiquera la date et le lieu. Salue ce cher Mugetsu de ma part, Nina Andersen, veux-tu ? »

    Et elle partit d’une manière que je qualifierais de guillerette si je n’avais pas peur que ce terme soit hors contexte et totalement déconnecté de la réalité… Quoi qu’il en fût, une fois rentrée à la guilde, je courus répondre à la première consigne de la Dame à mon propre égard. Je me sentais comme un pot-pourri d’émotions contradictoire, coincée entre deuil et espoir, mélancolie et fierté. Mais au fond, j’étais sûre que ce jour aurait son importance sur l’avenir, car il m’avait rappelé pourquoi j’étais à Aeternitas. Il m’avait mis en tête tous les buts que j’avais. Devenir plus forte grâce à Hendrik. Retrouver Dimitri et Élia. Sans oublier plus longtemps Joker, Spade, et ma quête des runes d’Asgard.

    Propre et soignée, couverte par mes draps les plus doux et ma couette la plus chaleureuse, je repensai à tout cela avant de m’endormir. Et je me fis une promesse.

    « Accomplis-toi, Nina. »

    by Nina

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    Raziel
    Raziel
    Mage
    https://humanitas.forumsrpg.com







    Ranking : S+

    Base : 6 550

    Perfection : non

    Fautes :
    « pour se gratter dans démangeaison » => alors, il fait ce qu’il veut ce cher Liam, mais en français si possible, le québecois est déconseillé.
    « jonchait un peu plus loin » => le verbe joncher n’est pas ici adapté, de par sa transitivité d’une part et de par son emploi intransitif impossible d’autre part. Il n’est en effet pas autorisé de mettre un complément circonstanciel après ce verbe (ici, de lieu), il faut un COD ou un COI (pardon, un prédicat, dieu que ce mot est laid). Le verbe gésir fonctionne parfaitement par contre !

    Cohérence : 100 points.

    Originalité : musique, maestro. 50 points.

    Histoire : 400 points. Lëen, le lien avec Nina, sa mort, bref, chapeau.

    Rendu : 100 points, rien à redire.

    Humour : Hmm… Il y en a et en même temps, le texte était loin de la proximité avec « Les Fourberies de Scapin »… Mais 125 points devraient faire le compte.

    Rédaction : 275 points.

    TOTAL : 8 500 points.

    Bonus spécial « asyndètes » : réussi. 1 000 points.

    TOTAL FINAL : 9 500 points.

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