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    ANNIHILATION






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    ANNIHILATION par Nina Andersen Lun 22 Fév 2021, 22:20
    Nina Andersen
    Nina Andersen
    Briseuse de Mythes







    ANNIHILATION
      Recherches.


    Hendrik extirpa doucement sa main ensanglantée du corps de sa victime. Une créature démoniaque vulgaire et sale de nature. Voilà ce que ses yeux mauves percevaient.

    Tout naturellement, il remit son gant blanc sur ses doigts maculés de sang. Sans éprouver le moindre état d’âme pour la marée de cadavres qui entourait la Cloche d’Exitia, Hendrik la brisa en morceaux si petits qu’ils partirent en poussière. Vidé de son énergie mais toujours droit sur ses talons, le demi-démon baissa la tête et clôt ses paupières.

    Nina.

    Il sentait sa présence, au loin. Igni aussi. Répandant ses flammes sur les corps des démons, le slime brûlait de colère et de tristesse, carburants infinis pour sa volonté de retrouver sa maîtresse. Les cieux de Pergrande s’assombrissaient peut-être, voilant le pays d’une dentelle morbide, mais cela n’empêcherait pas Igni et son improbable allié de retrouver Nina.

    Grâce au tesson récupéré à Joya, il avait été relativement possible pour Hendrik de localiser l’aura de cette Cloche. Nichée à la frontière de deux nations ennemies, elle était censée représenter un véritable défi. Mais le demi-démon n’avait pas la moindre envie de jouer aux petits jeux des Théologistes.

    Hendrik reprit conscience de son environnement et guetta les alentours, rassasié par la chair des démons mais prêt à en découdre si le moindre soldat stellan ou belluaire pointait le bout de son nez dans son champ de ruines personnel. Rien ni personne ne se montra. Pas un Apôtre pour fanfaronner, à se demander ce qui pouvait bien occuper leurs deux derniers représentants…

    ***

    Tic.

    Tic.

    « Mpfh… »

    Toujours cette satanée goutte.

    Tic.

    Tic.

    Ce bruit beaucoup trop régulier était son pire ennemi. Plus encore que la nourriture fade qu’on lui servait depuis… Depuis quand, au juste ?

    « Mettez un tissu sous cette goutte par pitié… »

    Dans un murmure dysphonique, Nina suppliait une entité invisible de faire cesser le clapotis incessant. Autant lui donner cette eau à boire… L’entité invisible lui répondit, amusée.

    « C’est l’eau des toilettes. »

    L’entité apparut, immense. Nina releva à peine son regard et fit face à ses genoux, mais l’homme à qui ils appartenaient s’accroupit bien assez vite pour que son regard de sang soit distinct.

    « Hésiode a besoin de toi, aujourd’hui. Ta corruption a suffisamment progressé pour que l’on puisse s’en servir. Par contre, si tu ne m’en veux pas, je vais te laver parce que ce n’est vraiment pas possible, l’odeur. »

    Mattheum ne réprima pas un sourire carnassier lorsqu’il commença à déshabiller Nina. Ah, oui, une bassine à côté de lui… Première douche depuis… quand ?

    « Quel jour sommes-nous, démon ? »

    Il répondit, ironique.

    « Nous sommes la nuit. Elle risque de durer un moment, d’ailleurs, sans vouloir te peiner.
    — Asgard ne se montre pas la nuit. » mentit la jeune femme, seulement pour avoir le dernier mot.

    La toilette se passa sans un mot. Nina n’avait que faire du regard de Mattheum sur son corps nu, ni de ses griffes lui fendant la peau tout à fait volontairement. Il cherchait à l’humilier. Elle le savait bien. Mais si elle cédait, l’accès à son âme serait facilité et, par là même… l’âme d’Asgard. Une force mentale en laquelle elle n’aurait pas cru la soutenait depuis le début de sa captivité. L’heure n’était pas à l’abandon.

    Quelques longues minutes plus tard, Nina ouvrit les yeux dans un immense bureau, semblable à la nef d’une église. Elle était à moitié allongée sur une espèce de table chirurgicale, à peine vêtue. Face à elle, les traits encore flous d’un grand homme barbu. Ses yeux perçants la fixaient mais aucune émotion particulière n’émanait de ses prunelles.

    « Commencez l’opération. » ordonna-t-il sans la moindre cérémonie.

    Là, l’instinct de survie de Nina se mit en branle. Ses pupilles se contractèrent, ses muscles se tendirent. Son cœur accéléra. Elle ne pouvait pas bouger. Une femme en blouse blanche approchait, lame en main. Une grande main glacée plaqua sur le nez de Nina un tissu imprégné de substances éthérées, et elle se sentit partir. Pourtant, elle était toujours consciente.

    Ce n’était pas un anesthésiant classique, car Nina sentit parfaitement la lame s’insérer dans son ventre. Mais elle ne pouvait pas bouger, ni crier et, en réalité, elle n’avait pas vraiment mal… Le simple fait de savoir ce qui était en train d’arriver, en revanche, lui retournait l’estomac. Elle pensa que si son cœur ne s’arrêtait pas de battre, il finirait par exploser, jaillir hors de sa poitrine…

    Des doigts gantés fouillaient son ventre. Elle sentait le déplacement de ses muscles. De ses organes. Avec aussi peu de délicatesse qu’avant, la chirurgienne finit par recoudre la plaie béante. Nina tourna de l’oeil.

    ***

      Hésiode.


    Nina écarquilla les yeux, émergeant d’un sommeil noir. Quelque chose s’était brisé en elle.

    Hors d’elle.

    « ASGARD N’EST PAS LÀ ?! »

    La voix d’Hésiode résonna dans toute la pièce, peut-être plus loin encore. La chirurgienne qui se tenait quelques secondes auparavant bien droite n’eut bientôt plus de tête. Mattheum se saisit vivement du menton de Nina pour tourner son regard dans le sien. Il ne prononça pas le moindre mot. Il n’eut pas le temps.

    Quand sa rune se mit à briller sur le front de Nina, elle ne put exprimer la douleur que par le silence. La corruption la gangrénait, la colère d’Hésiode grondait. Il n’avait pas eu Asgard dans la lacryma interne de Nina. Cette pierre n’était qu’un vulgaire accessoire, non pas le réceptacle de l’âme divine… Le fondateur des Théologistes ruminait de colère.

    « Bien, très bien… Puisque c’est ainsi, tu ne me laisses plus le choix, humaine. »

    Le vieil homme se rapprochait dangereusement de Nina. Il lui fallait l’âme d’Asgard. Tout de suite. Sans remords, il se saisit du crâne froid de son fils tué. De son autre main, il appuya ses doigts sur le front de Nina.

    « Résonne, Cloche Originelle. »

    Les ténèbres parcoururent l’éther ambiant, remontèrent les doigts d’Hésiode, puis ses mains, ses bras. Un son métallique se répandait aux confins du monde. Ces stimuli affluaient depuis et vers Nina, que la douleur et la fatigue achevaient. La rune qu’elle venait d’absorber se manifesta, rapidement suivie de toutes celles qu’elle pensait avoir détruites.

    Le front d’Hésiode, lui, brillait d’un symbole rouge sang. Il évoquait une croix, une pierre tombale.

    « Maintenant…
    — Maintenant, cette jeune femme va repartir avec moi. »

      Invocation.


    Une flamme ardente engloutit Hésiode, lui faisant retirer sa main du visage de Nina. De courts cheveux blancs brillaient à sa lumière. L’air se chargea soudain d’électricité.

    « Un démon ?! s’étonna Hésiode.
    — Je viens reprendre ce que tu nous as volé, Hésiode. Et par pitié, ne fais pas l’étonné… ricana Hendrik en détruisant les chaînes qui maintenaient Nina à la table de chirurgie.
    — Essaie donc ! »

    Un flux de ténèbres s’abattit sur le demi-démon, mais il n’était déjà plus là. Dans un crépitement, il réapparut plus loin, un slime de feu volant sévèrement à ses côtés.

    « Puiii ! »

    En ces termes, Igni venait d’insulter Hésiode comme jamais il n’avait insulté quelqu’un.

    Le mage noir détruisit, en projetant un rayon létal sur Hendrik, plusieurs piliers soutenant son haut plafond. Ce dernier, n’ayant aucune envie de s’éterniser ici, commença à incanter son sort de téléportation, parchemin en main. Igni crachait des flammes sur Hésiode mais il les évitait comme les coups d’un débutant.

    Hendrik se déplaça dans l’air jusqu’à retrouver Nina, et il acheva son sort de téléportation. Peu importait ce que le Théologiste comptait faire. Le plus important était de retourner en lieu sûr… Et les profondeurs de Stella n’en étaient pas la définition.

    « Partez donc, créatures impies… Nous nous retrouverons bien assez tôt. »

    Se permettant, pour faire bonne mesure, une petite révérence, Hendrik disparut avec Nina et Igni dans une grande mer de particules.

    ***

      Retour.


    Hendrik déposa Nina sur un lit bien chaud. Altaïr était presque vide à cette heure, mais quelqu’un ne se fit pas prier pour entrer sans frapper dans la chambre de la jeune femme.

    « Ne la touche pas. »

    Le demi-démon ricana.

    « Et qui crois-tu être pour me donner des ordres ?
    — Pas tes affaires.
    — On entretient, elle et moi, une relation charne-… »

    Etouffé par Igni, Hendrik ne put terminer sa phrase sous peine d’être brûlé au visage à un degré bien trop important. L’homme qui venait d’entrer se précipita au chevet de Nina, laquelle ne bougeait pas sinon pour montrer qu’elle respirait encore.

    Il repoussa les mèches rouges qui tombaient sur le visage de la jeune femme tant il en était près. Son regard inquiet planté dans des paupières closes, il priait des dieux inconnus. Le souffle tiède qu’il ressentait à peine contre son menton n’était pas assez pour le rassurer alors qu’il voyait très bien ces joues creusées, ces cernes et tous ces hématomes.

    « En plus d’une semaine… Que lui ont-ils fait… se lamenta Zélos.
    — Tu ne devrais pas être au front avec les autres ? »

    Cette question acheva la corde mince qui retenait encore la panique du chevalier. Zélos se leva du lit, d’abord doucement, puis d’un geste vif porta ses poings au col de Hendrik.

    « J’y étais, au front, figure-toi. Aux premières loges. J’étais avec Loki, lorsqu’il a su que tu revenais. Venir ici est le choix que j’ai fait et tout mentor que tu sois pour Nina, je n’ai aucun compte à te rendre. Libre à toi d’aller te battre à ma place aux côtés des autres Canta Dovahe. »

    Les ténèbres tapissaient les cieux d’Humanitas. Aux dernières nouvelles, Fiore elle-même en subissait déjà les conséquences. Un flux inarrêtable de démons mineurs pleuvait des sombres nuages et s’abattait avec les éclairs qui en jaillissaient.

    Tout avait commencé peu après l’enlèvement de Nina. Le vent s’était levé, les nuages n’avaient laissé tomber qu’une eau lourde et acide pour abreuver les terres. La panique générale s’était emparée de Pergrande, et le gouvernement royal avait le plus grand mal à contenir les émeutes dues à cette terreur. Et lorsque les démons étaient apparus, la veille au matin, l’on s’était aperçu qu’il n’y avait pas assez de soldats, pas assez de magiciens pour tout endiguer. La Cloche d’Exitia avait sonné. Pour le peuple, il s’agissait très clairement du début de l’Apocalypse.

    Hendrik comme Zélos, de même qu’Altaïr et la plupart des instances dirigeantes, savaient qu’il n’y avait strictement rien de divin à ces événements. Bien au contraire. Quant à être certains de la capacité de l’humanité à faire face aux conséquences d’une pareille arme…

    Les deux hommes ne s’échangèrent plus aucun mot par la suite. Ils ne s’étaient presque jamais croisés avant ce jour, tout remontait à l’époque d’Aeternitas. Ils savaient déjà, pour autant, qu’ils ne s’appréciaient guère. Hendrik, en aucun cas vexé par le comportement de Zélos, soupira et le laissa finalement seul avec la magicienne. Il avait d’autres chats à fouetter, à l’heure actuelle. Engagé par Dimitriev lui-même comme ingénieur impérial, des travaux cruciaux et pressants l’attendaient.

    Comme par exemple tenter d’inhiber l’afflux de démons.

    Seul, Zélos faisait les cents pas dans la chambre de Nina. Il se sentait inutile à ses alliés au front, et inutile à celle qu’il aurait voulu sauver. Malheureusement, le devoir l’avait appelé en Pergrande, après le tintement de la Cloche, et il avait beaucoup regretté sa profession à ce moment-là. Mais désormais elle était là – pas grâce à lui.

    Après plusieurs heures, lorsque Nina gémit et commença à s’agiter, Zélos se précipita à son chevet.

    ***

      Plénitude.


    « Nous n’avons plus le choix, Majesté, appuya Lug de Némédia d’un ton sans équivoque.
    — Enfin, rayer de la carte la côte est, c’est de la folie ! s’insurgeait l’Impératrice Natalia.
    — Pourtant, la Cloche d’Exitia originelle a été localisée sur la côte, non loin de nos côtes. Le portail père, duquel semblent provenir toutes les autres passerelles dimensionnelles vers les enfers, a toutes les chances d’être ouvert au même endroit.
    — Epargnez-nous vos peut-être. C’est moi qui vous le dis. »

    Les mots d’Hendrik ne semblèrent pas convaincre les plus réfractaires à son plan drastique. D’un côté de l’immense table ronde qui trônait fièrement dans la salle de stratégie du palais impérial, des stratèges et autres décideurs voyaient la présence d’un semi-démon d’un très mauvais œil en pareilles circonstances. Dame Alyce avait beau le chaperonner, cela ne suffisait pas.

    « Le jeune Lug et moi-même, sourit Hendrik, avons travaillé sur un dispositif extrêmement puissant capable d’éradiquer toute forme de magie démoniaque. Alors évidemment, on n’a rien sans rien. Ce sera difficile, et il y aura besoin de mobiliser beaucoup de magiciens puissants qui ne pourront pas se battre contre les Théologistes et leurs suppôts pendant ce temps. Mais, franchement, pour sauver le monde, est-ce que ça ne vaudrait pas un peu le coup ? »

    Cette arrogance et ce sarcasme que le demi-démon ne cachait pas en irritaient beaucoup, mais il fallait bien admettre qu’il n’avait pas tort. Combien d’hommes et de femmes, civils comme soldats ou magiciens, seraient perdus si rien n’était fait ? À quoi ressemblerait le monde si les démons s’en emparaient ?

    Y aurait-il encore de la place pour l’humanité ?

    C’était quelque chose en laquelle Hendrik ne croyait pas le moins du monde. Et puis, n’avait-il pas passé sa vie, deux cents ans auparavant, à créer des armes et des pouvoirs puissants ? Il vivait sa meilleure vie. Il jubilait à l’idée de mettre son plan en œuvre. Ce n’étaient pas quelques vieux évêques et autres Impératrices endeuillées qui feraient flancher sa brillante destinée.

    « Je veux que toute la population de la zone entourée en rouge soit évacuée d’ici à la semaine prochaine. Qu’il ne reste personne.
    — M-Majesté ! s’outra un haut dignitaire. C’est impossible ! »

    L’Empereur Dimitriev ne sembla pas accorder de crédit aux protestations de son gouvernement. Il planta ses mains sur la table ronde, le regard grave.

    « Qu’il ne reste personne. »

    L’Impératrice Natalia serrait le poing, tête basse. Elle semblait comprendre qu’il n’y avait pas d’autre choix, mais…

    « Nous comptons sur Altaïr pour la suite des opérations. Je ne poserai qu’une condition…
    — Quelle est-elle ? demanda Alyce à son frère, droite et déterminée comme la soldate qu’elle avait été.
    — Que le vaisseau de l’Asgard dont vous m’avez parlé soit rétabli par les meilleurs médecins de la capitale, ordonna l’Empereur sans éprouver aucun plaisir. Je veux qu’elle attire Hésiode le plus loin possible d’Alkonost et le combatte sur la côte est. Vous avez une semaine. »

    Dans un silence général, l’assemblée fut close.

    ***

    Une barrière magique avait été dressée tout autour d’Alkonost. Ses habitants voyaient ses eaux battre avec vigueur et plus aucun bateau ne circulait. Loin de ce mur protecteur, la bataille faisait rage. Des créatures difformes aux démons plus évolués, nul mage n’avait de répit. Seuls les plus couards des mages officiels manquaient à l’appel, ignorant sciemment ou non les sanctions qui s’abattraient sur eux pour cet affront à leur rang. Même les plus faibles participaient à l’effort.

    Loki et Ényo se battaient aux côtés d’autres magiciens d’Altaïr dans les plaines éventrées du sud de la capitale. Nina n’était pas à leurs côtés.

    ***

    Quatre jours. C’était le nombre que Nina avait retenu. Depuis qu’elle s’était réveillée, la jeune femme était le cœur de discussions houleuses. Elle n’avait pas quitté sa chambre, mais ce n’était pas pour autant que la compagnie lui manquait. Ses amis venaient la voir s’ils ne combattaient pas, à peu près à la même heure chaque fois mais le visage toujours plus sombre.

    « Je veux aller me battre maintenant.
    — Nina, tu n’es pas sérieuse… déplorait Zélos, sa main dans la sienne. Tu t’es à peine remise de tes blessures et ta plaie n’a pas encore correctement cicatrisé. Tu…
    — Je sais très bien comment je me porte, je te remercie. (Elle détourna le regard) Ne crois pas que je sois insensible à l’attention que tu… que vous me portez, tous. Mais je suis le vaisseau d’Asgard, et tu es bien placé en connaître les implications. »

    Elle jouait la dure. Sa détermination n’était pas feinte, pourtant, au fond d’elle, Nina n’avait pas eu aussi peur depuis longtemps. Elle caressa Igni qui dormait sur ses genoux. Il était chaud… La main de Zélos était chaude…

    « C’est en m’aventurant sur ses terres à la recherche d’un nouveau pouvoir, dans un simple but de puissance aveugle, que j’ai scellé mon destin. Rien ne pouvait m’arriver de bon à la fin. Aujourd’hui… je paie le prix de mes actes. Peu importe ce qu’il m’arrivera, je ne peux pas reculer. C’est moi qu’Hésiode veut, et il me trouvera un jour ou l’autre. Cette barrière magique ne l’arrêtera pas lorsqu’il aura suffisamment fait sonner la Cloche. »

    Zélos ne trouvait rien à redire, les mots se coinçaient dans sa gorge. Un combat contre Hésiode, le chef des Théologistes, pouvait-il avoir une fin heureuse ? Pire encore, l’affronter près de la côte est en sachant ce qui devait s’y dérouler ? Sans s’en rendre compte, le chevalier serrait si fort la main de Nina dans la sienne qu’il lui faisait mal. Pourtant, elle ne disait rien.

    Et dehors, le tonnerre grondait.

    La jeune femme plongea son regard dans celui de Zélos. Leurs azurs se croisèrent et ne se lâchèrent plus jusqu’à ce qu’elle prononce son ultime volonté.

    « Il est temps. Laisse-moi me préparer. Vite, avant que je ne change d’avis. »

    Sans rien dire, Zélos remonta le long du bras de Nina. D’un geste fougueux, il l’attira dans ses bras. Il ne parvenait plus à s’exprimer. Aujourd’hui, il ressentait ce que Nina avait pu ressentir ce jour-là, dans le Cœur du Hvergelmir. Tant qu’il le put, il profita de ce contact, impuissant.

    ***

      Vers la fin.


    Quelques heures avaient suffi pour que Nina se pare de sa tenue de combat. Tout le long du chemin jusqu’au lieu de ce qui serait peut-être son dernier affrontement, elle fit mine de n’avoir mal nulle part. Probablement avait-elle réussi son jeu car personne ne lui proposa de l’aider à se déplacer. Asgard, qui ne s’était manifesté depuis l’enlèvement de Nina, lui insufflait constamment l’énergie pour y parvenir. Il parla, même.

    « Je suis désolé. »

    Nina ne répondit pas. Il n’y avait pas lieu d’être désolé.

    « Nina, murmura Alyce qui l’accompagnait, penses-tu qu’Hésiode ressentira ta présence si facilement ?
    — J’en suis certaine. Lorsqu’il a tué Mattheum et absorbé son énergie, quelque chose s’est dessiné sur son front. Asgard m’a dit que c’était… la rune de sa dernière fille.
    — La rune maudite… » se remémora-t-elle.

    La maîtresse d’Altaïr se laissa aller à un élan d’affection qu’elle jugea indigne d’une guerrière mais nécessaire. Elle enlaça sa protégée avant de l’abandonner à contre-cœur au milieu de nulle part, en lui souhaitant toute la chance du monde. Alyce, avec sa magie énergétique, était la clé capable de faire fonctionner l’appareil mis en place par Lug et Hendrik. Une fois cela fait…

    Tous ne pouvaient qu’espérer.

    Nina, seule après qu’Alyce se fut téléportée, se mit à rire nerveusement. Elle put enfin libérer les larmes et les tremblements que la peur lui provoquait. En repensant à l’origine de tout, à l’exploration d’Asgard qui avait mené à cette situation…

    En repensant à Aeternitas. À Mugetsu, à Sirius, Liesel et tous les autres…

    En repensant à Zélos, qu’elle s’était tant retenue d’embrasser…

    « Sèche tes larmes, ma très chère Nina. Hésiode approche. Je sens sa présence.
    — Alors l’heure est venue. »

    En face de Nina s’ouvrit une faille dimensionnelle menant vers les ténèbres les plus noires. Une silhouette en sortit. Sa longue barbe blanche et ses yeux rouge sang perçaient la robe noire qui coulait sur son vieux corps. Hésiode était seul. Mais même seul, il valait tous les ennemis que Nina avait affronté jusqu’ici. Et même plus que cela. La fatigue se faisait ressentir dans le corps de la jeune femme, mais il lui fallait tenir plus que jamais.

    « Par pitié, vulgaire rat, ne me prends pas pour le plus sombre des idiots ! scanda le vieil homme de sa voix grave et rauque. Un enfant aurait compris le plan que cet empire pathétique essaie de mener à terme. J’ai des yeux et des oreilles partout. J’entends tout. Je vois tout.
    — Nous n’avons ainsi plus rien à nous dire, déclara Nina avec un sourire en coin, séchant sa dernière larme. Battons-nous, et voyez si à vous seul vous saurez me prendre Asgard. »

    Hésiode éclata de rire, parfaitement confiant.

    « Ēar. »

      Annihilation.


    Dans la main du Théologiste apparut une immense lance et sur son front le tracé d’une rune. Nina s’arma de Ragnell. Ils avancèrent lentement, l’un vers l’autre, formant de leurs pas un cercle de plus en plus étroit.

    Mimant un coup frontal, Hésiode lança sa main fripée droit sur le visage de Nina qui anticipa le coup et l’évita sans problème. Elle sentit une boule d’énergie se former dans cette même main, alors la magicienne se baissa et tenta une fente dans les jambes d’Hésiode. Celui-ci disparut néanmoins dans un nuage de ténèbres.

    Nina leva le bras et une salve d’éclairs en jaillit. Sans discontinuer, le flux électrique se déplaçait sous différentes formes. Sphères, rayons… Ce n’était qu’un vulgaire échauffement. Hésiode était serein. Nina contenait sa douleur.

    « Combien de temps encore dois-tu me divertir, avant que tes petits amis ne mettent en route leur plan secret ? ricana Hésiode.
    — Vous parlez beaucoup et agissez peu, pour quelqu’un censé être le destructeur de ce monde.
    — Nul besoin d’artifices… D’ailleurs, je pense que Iohannem saura s’amuser des cadavres de tes preux chevaliers. Elle n’a pas besoin de moi ; je peux prendre autant de temps que je le souhaite pour extirper Asgard de ton être insignifiant. »

    Le ciel crépita. Le soleil était si couvert qu’il ne se distinguait plus au-travers des ténèbres, n’éclairait plus. Pourtant une lueur malfaisante transperçait les nuages et baignait le champ de bataille. Nina faisait tomber des éclairs çà et là, chargeant l’atmosphère, déjà lourde, en électricité. Dans son regard transparaissait toute la haine qu’elle pouvait ressentir pour Hésiode à ce moment-là. Elle poursuivit l’assaut.

    Lorsqu’Hésiode sembla décidé à agir, il fut tout à coup beaucoup plus rapide. Il esquivait et retournait chacun des coups de Nina. Il la transperça au bras, puis déchira sa jambe de sa lance. La magicienne, déjà épuisée, sentait que l’heure était bientôt venue de demander de l’aide…

    ***

    Plus loin dans les terres pergrandaises résonnait l’entrechoquement d’une lance et d’un katana. Une femme aux allures orientales et au teint de porcelaine suçotait un bonbon tranquillement alors qu’elle affrontait les Canta Dovahe. Quatre contre une. Cela aurait dû être un combat gagné d’avance, surtout avec le puissant Aiakos dans les rangs des chevaliers. Pourtant, cette femme…

    « Elle ne dégage aucun aethernanos, je ne comprends pas… pesta Hypérion, reculant après son assaut sur la bretteuse.
    — Les précédents Apôtres ont mordu la poussière. Ca prendra du temps, mais il n’y a pas de raison que celle-là fasse exception. »

    Zélos croyait en ses propos avec une ferveur religieuse. Tant que les têtes pensantes des Théologistes étaient debout, rien ne serait fini. Nina risquait sa vie bien plus loin à l’est ; les Canta Dovahe ne reculeraient pas devant la menace que représentait Iohannem.

    Aiakos, silencieux et concentré, réunit l’aether environnant pour former une sphère d’énergie colossale. Ymir, le plus agile des quatre, y plongea comme s’il se fut agi d’un portail dimensionnel. Iohannem siffla d’émerveillement. Elle aurait assisté à un numéro de cirque que sa réaction n’aurait pas été différente.

    « Sacrément bien, ton truc ! Je vais peut-être te garder, toi… Un bel homme empaillé dans ma future demeure sera du plus bel effet ! »

    Sans répondre à la provocation – qui n’en était pas une tant Iohannem était sérieuse –, Aiakos projeta la lourde sphère en direction de l’Apôtre. Elle l’évita, mais le sort se décupla et une forte densité d’aether aquatique entoura l’ennemie. De chaque sphère sortit un Ymir, fendant de ses deux épées droit devant lui. Iohannem, presque surprise de la vitesse à laquelle l’assaut avait été exécuté, n’en sortit pas indemne.

    « Pas maaaal… »

    Zélos et Hypérion se précipitèrent sur elle, parfaitement accordés, et tentèrent de la pourfendre mais l’Apôtre évita en plantant son katana au sol pour s’en servir comme tremplin.

    « Vous ne fatigueriez pas déjà, à tout hasard ? C’est que je dois vous retenir tant que maître Hésiode n’est pas revenu avec l’âme d’Asgard… Je ne suis pas quelqu’un de très patient, soupira Iohannem en faisant la moue, perchée plus loin sur un grand arbre sec.
    — Je sais qu’il ne reviendra pas, ricana sombrement Zélos.
    — Tu y crois, plutôt. C’est différent. Mais c’est bien, hein, d’y croire un peu ! Ca ne rendra votre défaite que plus insupportable, hihihi… »

    ***

    Nina haletait, genou au sol. Ses hématomes n’avaient pas disparu, et malgré tous les bons soins des meilleurs médecins impériaux, elle se sentait faible et… imparfaite. Sa puissance avait grandement diminué avec la destruction de la lacryma du projet Lacrimosa. C’était si pathétique de constater sa faiblesse sans de pareils artifices… Nina pensa à Hendrik, qui serait honteux de la voir ainsi.

    « Bien. Assez joué. Tu n’es pas un pantin très intéressant, je me suis déjà lassé… Maintenant… »

    Hésiode laissa sa phrase en suspension et tailla son poignet avec la lame de sa lance. Le sang coula à flots, laissant Nina hébétée. Hésiode commença une psalmodie.

    « Nina, arrête-le !! hurla Asgard en son for intérieur. Il invoque la rune maudite ! S’il vient à bout de cette incantation, nous devrons franchir un point de non-retour… »

    La jeune femme ignora sa douleur pour se précipiter à corps perdu vers Hésiode. Celui-ci poursuivait son incantation, et de plus en plus de runes similaires apparaissaient sur son visage. Ragnell s’abattit droit sur l’homme, se planta dans son ventre, mais rien ne se produisit.

    Il était trop tard.

    Le langage qu’Hésiode employa alors demeura incompréhensible pour Nina. Asgard ne prit pas la peine de traduire son premier langage, mais il utilisa le corps de Nina pour répondre.

    C’était une discussion entre un père et sa tendre fille.

    Celle qu’il avait conduite à un exil et un oubli pire que tout.

    Le corps du Théologiste se para de craquelures. Elles s’ouvrirent, écartant la chair, la modifiant sans aucun artifice pour masquer l’horreur de la transformation. Du dos de l’homme sortirent deux ailes de pierre, n’ayant d’un ange que la forme abstraite. Une auréole froide point de chaque côté du crâne d’Hésiode qui, lentement, perdait toute humanité pour ressembler à celui d’une momie d’ébène.
    La silhouette qui se dessinait portait quatre bras et des jambes rachitiques. Le tissu déchiré qui avait autre fois constitué la robe d’Hésiode perdait toute noirceur, faisant ressembler ce que l’homme était devenu à un ange démoniaque.

    « Je dois-… commença Asgard.
    — Ne dis rien. Ne dis plus rien, et fais. »

    Silence.

    « Je suis désolé. »

    Hurlant de douleur avec une soudaineté inhumaine, Nina avait l’impression que son corps se dissolvait. C’était tout comme. La lance d’Hésiode l’avait transpercée de biais, perforant ses poumons, son cœur, son foie et remontant le long de sa colonne vertébrale. Son bras droit parvint pourtant à se lever, et une traînée mauve crépita jusqu’aux cieux. C’était un signal. Le dernier signal.

    Avant sa mort.

    ***

      Discussion.


    Asgard ouvrit un œil, Nina ouvrit l’autre. Un côté de la bouche parla sans que l’autre ne bouge.

    « Je suis désolée. »

    Une larme tomba sur le côté d’un œil. Lequel, exactement ?

    « Pourquoi devrais-tu l’être ? »

    « Tu cesseras d’exister. Car je ne suis pas assez forte. »

    Personne ne serait assez fort, c’était pourtant évident.

    « Et moi… »

    « Tu seras toujours là. Je ne partirai pas, toi non plus. Tant qu’il sera debout... »

    « Et si nous tombons avant lui ? Qu’adviendra-t-il du monde que nous n’aurons su sauver ? »

    Les Anges et les Dieux ne semblaient témoigner aucune envie de les sauver, après tout. Pourtant, ils existaient. Ou bien avaient-il trouvé le nouveau jouet de leurs fantaisies ?

    « Il vivra toujours grâce à toi. Je ne le… Je ne te laisserai pas périr à cause de mes erreurs. Tu n’y es… »

    « Pour rien. Pour tout. J’y suis, c’est tout. Mais sans ce monde, je ne serais rien. Je veux le sauver... »

    Il n’y eut plus qu’une bouche, unie dans ses mouvements. Deux lèvres et plus quatre pour parler ensemble. Deux yeux clos d’un même mouvement.

    « Je le sauverai. »

    ***

    Les murs du palais d’Alkonost tremblèrent sous l’émotion du cri d’Alyce lorsqu’elle hurla en transférant ses pouvoirs au déluge de lumière qui allait s’abattre sur la côte est.

    « Le dispositif n’a pas assez d’énergie !! criait Hendrik en tentant de lui en apporter.
    — Il nous faudrait une entité d’énergie pure… conjectura Lug. Nous pourrions…
    — Puiii… Puii… »

    Igni tremblait. Il avançait vers la machine lentement, flottant doucement dans les airs. Il semblait pourtant déterminé…

    « Non Igni, ne fais pas ça ! Tu dois attendre Nina !
    — Espèce de sale bête, tu ne comptes quand même pas… pesta Hendrik.
    — PUI ! »

    Sans concession, sans que quiconque n’ait pu l’en empêcher, Igni s’était engouffré dans le dispositif. Il brûlait, déployait plus de flammes que jamais son petit corps n’aurait dû lui permettre. Il avait l’air de tellement souffrir… Mais il ne fuit pas. Il ne cessa pas. Grâce à tout son courage, grâce à l’espoir de sauver ce qui pouvait encore être sauvé, il donna son être.

    « Les… Les chiffres reviennent à la normale ! annonça Hendrik en tentant de se concentrer. Il faut balancer la sauce maintenant ! »

    Et tous les magiciens autour de la machine suivirent cet ordre sans hésiter.

    Zélos, depuis sa place, observait la scène sans bouger. Il n’essuya pas les larmes qui coulèrent sur ses joues lorsqu’il vit la sphère commencer à briller.

    ***
    Il n'est pas utile de boucler cette musique

      Acte final.


    Les paupières étrangères se rouvrirent. En un instant. La lance avait disparu de la colonne vertébrale, du foie, du cœur et des poumons. De part et d’autre du trou béant qu’elle y avait laissé se déployèrent deux ailes immaculées. Un halo de lumière s’empara de la plaie et la combla.

    De longs cheveux bouclés brillaient de leur propre chef, coulant sur une robe aérienne. Ils illuminaient d’une lueur blafarde les cieux de jais et de sang que couronnait Hésiode dans son linceul déchu.

    Une voix retentit. Féminine. Douce. Sévère. Elle semblait provenir du ciel lui-même. Qui sait jusqu’où portait ce son ?

    « L’Asgard que tu as tant cherché… te satisfait-il ? »

    Dans les deux mains d’une Nina nouvelle apparurent des lames cristallines. Une centaine d’autres entourèrent son dos, lui offrant une auréole comme jadis, humaine, elle aimait à manier. L’Ange déchu face à elle rit à gorge déployée.

    « HAHAHA ! Quel plaisir… Quel plaisir de se rencontrer enfin ! »

    Hésiode s’élança, de longues aiguilles d’ébène dans chacune de ses quatre mains. Chacun de ses assauts était paré par une lame de lumière. L’entrelacs de leurs armes et leurs aethers résonnait à des lieues. Dans les cieux, les entités se déplaçaient comme si le monde avait été à peine aussi vaste qu’une scène d’opéra. Les coups étaient échangés avec une violence inouïe. Nul homme se trouvant entre les deux n’aurait survécu.

    Beaucoup plus loin de tout cela, Alkonost était en effervescence. Dans l’immense écran magique déployé au centre-ville, tous les sujets pouvaient contempler le dispositif qui signerait la fin de tout un pan de leur immense nation. La sphère de cristal trônait haut dans le ciel, éclairait la scène. Elle l’observait sans en perdre une miette.

    Ces écrans avaient poussé un peu partout sur le champ de bataille. Les privilégiés, qui pouvaient se permettre de détourner leur regard vers eux, virent deux silhouettes se disputer l’ombre et la lumière, une aura dévastatrice émanant de chacun.

    Zélos, l’épée plantée dans le cœur de Iohannem et le bras autour du corps ballant d’Hypérion, dut essuyer le sang qui embrumait son regard pour découvrir le visage de l’Ange albâtre aux cent épées. Il réalisa l’ampleur du combat qu’il voyait se dérouler. L’issue serait fatale. Aiakos, debout à côté de lui, regardait sombrement le dernier acte de cette sombre épopée.

    « Nina… »

    De sa magie, l’Ange perfora le cœur d’Hésiode de part en part. Ses lames formèrent un épieu pour le traverser comme il l’avait fait pour elle. Alors qu’un serpent de ténèbres s’enroulait autour de Nina pour l’arrêter, elle fixa Hésiode de ses yeux pâles.

    « Que cela cesse… Que tout cela cesse… »

    Sa prière fut exaucée. Les nuages s’écartèrent et la lumière perça les ténèbres. La renaissance du soleil brûla le corps d’Hésiode. Il hurlait mais ne pouvait bouger, il tendait les bras pour atteindre Nina mais sans y parvenir.

    Le dispositif, un peu plus loin, était caressé par ces doux rayons.

    « Ridicule… Ridicule !! hurla Hésiode, transpercé par plus d’épieux sacrés à chaque seconde.
    — Toi qui as sali ce monde par ta seule présence… Toi qui l’as blessé dans son essence, toi qui l’as souillé… Je te priverai même de l’enfer auquel tu aspirais tant. Je te détruirai… Nous t’annihilerons. »

    ***

      Quelque part.


    Quiconque se trouvait à la frontière de la zone sinistrée pouvait voir un ciel bicolore. Le clair-obscur marbrait la voûte sur une distance inestimable. Si un soleil blanc baignait l’est, l’ouest s’abreuvait d’une pluie fine.

    La lumière, intense, brûlait les yeux de quiconque s’aventurait sur son territoire. Cela n’empêchait pas certains, curieux et téméraires, de se risquer sur la côte est, mais leur courage se tarissait bien vite face aux rudes conditions de cet environnement. Quelques jours auparavant, des villages grouillaient encore, là-bas. Désormais, il n’y avait plus rien. Et il n’y aurait plus rien, car la lumière ne partirait pas avant des années, selon les pronostics du demi-démon Hendrik.

    Un jeune homme détonnait dans ce paysage. Ses contours carmins, ses vêtements agrémentés d’acier… Le chevalier avançait lentement dans cet immense désert où rien n’était à sauver.

    « Ne va pas trop vite, Zélos, ou je ne serai pas en mesure d’absorber la lumière autour de toi… »

    Celui qui avait parlé soupira d’être ignoré. Loki, un bras en écharpe, laissa se briser une lacryma faisant office de réceptacle avant d’en sortir une nouvelle de son sac en bandoulière. Le cristal commença alors à absorber l’aether environnant. Les trois humains parcourant le désert évitaient ainsi d’être brûlés de façon irréversible par son intense lumière.

    « Si seulement Igni était là pour nous aider… »

    La voix d’Ényo était faible, sa gorge serrée. Que n’avait-elle pas perdu, en si peu de temps ? Alyce était alitée, victime d’un coma aethéré à cause de son rôle primordial dans l’activation du système de déluge. Loki avait perdu l’usage d’un bras. Elle repensait souvent à son inutilité. Rester à Joya lui avait permis d’en apprendre plus sur son passé, mais le prix avait été de ne pas pouvoir aider ses amis à repousser l’assaut des démons en Pergrande. Si maintenant ils ne parvenaient pas à retrouver Nina, s’il fallait admettre qu’elle était morte sous le déluge et que rien n’était plus à faire, alors…

    Zélos, lui, serrait dans sa main un morceau d’ambre magnifique monté en collier autour de son cou. C’était tout ce qu’il restait d’Igni.

    « Normalement, le dispositif aurait dû survivre au déluge, dit Loki pour rompre le silence qui recommençait à s’imposer. Si nous le trouvons, Nina ne devrait pas être très loin. »

    Le Némédien avait vu quelle forme son amie avait adoptée pour combattre Hésiode. D’après ses hypothèses, Asgard avait fusionné avec elle pour lui octroyer de grands pouvoirs. Dès lors, cette entité mi-humaine, mi-angélique aurait pu survivre à l’annihilation. Loki refusait de perdre espoir en cette conjecture.

    Au loin, Zélos suivait à la lettre les indications de l’appareil qu’il tenait dans sa main. De son aiguille, il pointait toujours la même direction, vers l’avant. Ainsi savait-il qu’il ne déviait pas de la trajectoire paramétrée. Comme il n’y avait plus aucun signe distinctif pour se repérer dans le paysage, cette aiguille était son seul espoir d’arriver là où le dispositif s’était trouvé.

    Lorsqu’après une éternité le groupe arriva face à une immense sphère brisée reposant sur un sol sablonneux, ils furent soulagés.

    « Quadrillons le secteur, ordonna Zélos. Le premier qui trouve quoi que ce soit appelle les autres immédiatement.
    — Nous voyions le combat lorsque le déluge a frappé. Maintenant, la sphère est trop endommagée pour savoir où était incrustée la lacryma-caméra… La recherche risque de prendre du temps. Prenez deux lacrymas d’absorption, mieux vaut être prudents.
    — Je pars au sud. Tâchez de garder la sphère en vue… » déclara Zélos d’un ton las.

    Loki se débarrassa de sa lacryma saturée de lumière mais, avant de la remplacer, il s’empressa de prendre le chevalier par l’épaule et s’approcher de lui. Si Loki s’attendait à un élan de colère réflexe, les yeux de Zélos brillaient de détresse. Ils ne se connaissaient pas depuis longtemps, et pas très bien, mais Loki voyait bien à quel point le chevalier avait besoin de réponses.

    « Nous la retrouverons. Je veux croire qu’elle est encore en vie. » sourit le Némédien.

    Zélos ne parvint pas à forcer un sourire, mais il respira profondément et rendit à Loki sa tape amicale sur l’épaule. Finalement, pensait-il, il avait bien fait de ne pas venir seul.

    ***

    Le grésillement du communicateur de Zélos le sortit d’un état presque léthargique. Il avait oublié de changer sa lacryma d’absorption et avait manqué de s’évanouir. Les mots que Loki prononça de l’autre côté de la ligne firent manquer à son cœur quelques battements qui auraient pourtant été bénéfiques. Zélos se mit alors à courir, faisant fi de son corps qui lui demandait une trêve.

    Lorsqu’il rejoignit enfin Loki, Ényo était déjà avec lui. Les larmes coulant sur les joues de la magicienne ne le trompèrent pas. Le Némédien arrêta la course effrénée de Zélos et empêcha l’expression vive de ses émotions d’un doigt posé sur ses lèvres. Loki s’accroupit et épousseta un amoncellement de sable blanc sur la chose face à lui.

    Ne visage de Nina était endormi. Il dépassait à peine d’une coquille de plumes constituée autour de son corps entier par une paire d’ailes albâtres. Ses cheveux avaient considérablement poussé et adopté un blanc immaculé aux reflets crépusculaires. Comme ils traînaient dans le sable, Loki les réunit comme il put, dévoilant ainsi deux oreilles pointues. Le Némédien rit nerveusement en constatant les fluctuations dans l’aether de son amie.

    « Asgard a fusionné avec elle, déclara-t-il. Son empreinte magique est très différente d’avant, mais… Mais elle est toujours vivante. (Il dut empêcher une nouvelle fois Zélos, mais aussi Ényo, de se rapprocher brusquement.) Attendez ! Je comprends votre précipitation mais elle est encore fra…-
    — OUIIIIN ! NINAAA ! pleurait Ényo, sans ménagement pour les oreilles de ses amis. On l’a trouvéééée !
    — Oui, oui, on l’a trouvée, calme-toi ! Incante le sort de téléportation au lieu de pleurer, par pitié ! suppliait Loki en souriant sincèrement, touché lui aussi par l’euphorie générale.
    — Puis-je… Puis-je la porter ? demanda Zélos en s’approchant, doucement cette fois-ci, du corps endormi de Nina.
    — Bien sûr. Essaie juste de ne pas abîmer ses ailes… »

    Lorsque Zélos s’approcha de la jeune femme et toucha ses ailes du bout des doigts, il sentit une chaleur se répandre en lui. La sensation se prolongeait jusque dans le corps de Nina, et il eut l’impression de revivre un instant la fusion de leurs âmes. La stupeur estompée, les ailes s’ouvrirent lentement, dévoilant un corps couvert de nombreuses ecchymoses et d’une fine robe dorée aux rappels angéliques. Cela amusa Zélos pour une raison étrange. Cette robe lui rappelait quelque chose…

    ***

      Finalement.


    Enfin, elle ouvrit les yeux. D’abord, elle avait cherché quelque chose à laquelle se raccrocher. Il y avait une main, alors elle l’avait prise. Elle put voir qu’il s’agissait de Zélos, endormi sur le bord du lit dans lequel elle était bordée.

    Un peu perdue, au début. Elle mit du temps à retrouver ses marques et reconnaître son environnement. La guilde. Altaïr. Sa chambre.

    « Que s’est-il passé… ? »

    À ces mots, la main qu’elle n’avait toujours pas lâchée remonta le long de son bras. Surprise, elle sursauta, mais très vite la main avait atteint ses hanches. Dans son sillage un corps avait suivi et s’était blotti contre le ventre chaud de la jeune femme.

    Soudain, tout devint clair. Le moindre souvenir refit surface. Comment elle avait affronté et vaincu Hésiode. Comment elle s’était sentie partir lors du déluge de magie qui avait emporté la côte est.

    En levant le regard, elle s’aperçut dans le miroir du petit boudoir, en face, sans se reconnaître. Ses cheveux étaient blancs et avaient repoussé, ses oreilles étaient différentes également. Le lien se fit très vite dans son esprit. Elle arbora un sourire triste.

    Asgard avait disparu, leurs essences ne faisaient qu’une. Nina réalisa que perdre son humanité provoquait une sensation… étrange. Mais tout était fini.

    Elle porta sa main libre à la tête de celui qui se tenait toujours serré contre son ventre et caressa ses cheveux.

    « Si tu ne dors pas, la moindre des politesses serait de me regarder. Ou alors je ne suis plus à ton goût ? » plaisanta tout de même Nina.

    Un grommellement lui parvint pour seule réponse, alors elle tira l’oreille de l’indésirable.

    « Aïe, souffla-t-il dans son oreiller vivant.
    — Regarde-moi.
    — Non, je pleure.
    — Ha… »

    Dans un soupir prolongé accompagné d’un grand sourire, Nina se pencha à son oreille.

    « Lève la tête. C’est un ordre. »

    Zélos daigna finalement montrer son visage embué de larmes à Nina, qui lui sourit tendrement, elle-même non-hermétique à ces émotions.

    « Où est passé le séducteur enjoué à la chope de bière que je connaissais ?
    — Les bars étaient fermés à cause de l’apocalypse, donc il est parti… renifla le chevalier sans réprimer un hoquet de rire relativement disgracieux à cause de son nez rempli.
    — Donc maintenant que c’est terminé, peut-il revenir ? »

    Sans répondre, Zélos se contenta de rire et se blottir plus fort encore contre le buste de Nina. Ils restèrent ainsi jusqu’à ce que, ne tenant plus, Zélos se lève pour se moucher. Lorsqu’il revint près de la jeune femme, celle-ci lui laissa un peu plus de place sur le bord du lit pour qu’il puisse se rasseoir.  

    « J’ai beaucoup changé…
    — Ca te va bien, les cheveux blancs, affirma simplement Zélos en attrapant une mèche de cheveux.
    — Moui… »

    Le chevalier enroula cette mèche encore et encore autour de son doigt, sans rien dire. Nina le regardait, inquisitrice.

    « Quoi ? » demanda-t-il simplement.

    L’enroulement amena directement son index aux racines de la mèche. Sans vraiment réfléchir, il la lâcha et posa sa main contre l’oreille de Nina, puis glissa sur sa joue. Leurs visages se rapprochaient doucement, avec timidité. Lorsqu’ils furent assez près pour que leurs souffles se confondent, Zélos hésita.

    « Je… Je peux ? J’aimerais être sûr que je ne vais pas m’en prendre une…
    — Cela arrivera justement si tu ne le fais pas, Wilder. »

    Incapable de résister, Zélos appuya finalement ses lèvres contre celles de Nina. Elles étaient chaudes… Le monde n’existait plus tout autour. Il n’y avait qu’eux. Plus d’ennemis, plus de guerre. Plus de peur. Seulement eux et leurs cœurs déchaînés, battant à tout rompre dans leurs poitrines, emplis d’une si douce et si vive chaleur... Seulement eux et cette tendresse qu’ils pouvaient enfin s’offrir.

    ***

      Épilogue.


    « Tu es certaine de pouvoir repartir en mission aussi vite ?
    — Loki, écoute… J’apprécie ta sollicitude, mais premièrement oui, et deuxièmement nous sommes déjà en route.
    — Laisse, c’est son côté mère poule qui ressort ! plaisanta Ényo. Bientôt il va se mettre à cuisiner des tartes aux pommes. Cela dit je ne m’en priverais pas.
    — J’ai hâte, maintenant… soupira Nina en imaginant une belle tarte aux pommes brillante et caramélisée.
    — Eh, ne partez pas du principe que ça va arriver ! » s’indigna le Némédien.

    Arpentant les rues animées d’Alkonost, le trio des Crystal Claws comptait gagner le continent et se rendre vers l’ouest afin d’accomplir une mission de rang S. Les Canta Dovahe étaient actuellement éparpillés sur les routes pergrandaises pour s’assurer que plus aucun démon n’était à recenser, alors Nina avait saisi cette opportunité pour s’émanciper de la terrible surprotection que lui offrait son désormais petit ami.

    « J’espère que Zélos ne rentrera pas pendant que nous serons en mission, s’amusa Ényo, il ne faudrait pas qu’il panique et parte à ta recherche.
    — Pitié ne m’en parle pas… déprimait d’avance Nina face à cette idée qui n’était pas si saugrenue – parfaitement envisageable, même.
    — Occupe-toi d’Hypérion, déjà, ma petite Ényo. Depuis que tu es restée à son chevet pendant des jours entiers, il est plus en forme que jamais et semble même très attaché à toi. Et vu la joie que cela te procure, on dirait presque que tout se déroule selon le plan… »

    Rouge comme une tomate, Ényo tenta de nier en bloc. Mais comme elle prit également quelques mètres de distance avec ses amis, afin de n’avoir à rendre aucun compte, le doute n’était plus permis. Riant de bon cœur, Nina et Loki ne virent pas une petite fille arriver en trombe dans les jupes de la première. Enfin, dans le pantalon de cuir, en l’occurrence.

    « Attention, tu aurais pu tom…- commença Nina en fixant avec étonnement et une pointe de dégoût la petite furie blonde qui la regardait, la morve pendant au nez.
    — Vous êtes Nina ! Vous êtes la grande madame qui nous a tous sauvés !
    — Mélanie, par le Ciel, reviens ! Oh, je suis si désolée… paniqua la mère en arrivant en trombe pour récupérer sa fille. Elle a refusé de m’écouter et a regardé la rediffusion de votre combat contre ce grand démon… Depuis, elle ne parle que de vous.
    — J’veux être pareil quand je serai grande, moi aussi je veux des ailes !
    — Après, il est vrai que… je ne dirais pas non à un petit autographe… » rosit la mère.

    Gênée et extrêmement nerveuse de recevoir une telle attention, Nina recula de quelques pas.

    « M-Merci pour cet engouement, mais vous m’accordez vraiment bien trop d’importance…
    — Allons, ne soyez pas modeste !
    — Bah oui Nina, ne sois pas modeste et signe-leur ton plus bel autographe, s’amusa Loki.
    — Je n’ai pas éliminé le bon démon, je crois… grogna Nina en acceptant le feutre tendu par la petite fille. Bien, si vous nous permettez, nous partions en mission. J’espère que votre journée sera bonne. » déclara poliment Nina avant de reprendre sa route d’un pas accéléré.

    Après avoir navigué vers le quartier impérial d’Alkonost, le continent leur ouvrait les bras. Leur mission de rang S avait un énoncé simplissime, mais les magiciens ne se laissaient pas avoir. Et puis, l’euphorie générale ne devait pas ôter de leur vue la réalité du monde. La paix n’était pas acquise simplement parce que les Théologistes n’étaient plus… Nina et les autres magiciens n’étaient pas dupes.

    Altaïr, sous l’égide de Lug de Némédia suppléant Alyce toujours alitée, reprenait du poil de la bête. Les mages repartaient en mission et, avant le départ du trio le plus populaire de la guilde, nombreux étaient les magiciens novices qui s’étaient rendus auprès de Nina pour se faire encourager. Autant dire que la pauvre femme n’avait pas prévu d’être un jour le centre de l’attention de la sorte, et cela ne lui plaisait guère… Mais, par une bienveillance acquise au fil du temps, elle avait su s’ouvrir au monde. Désormais, elle repoussait toujours les gens un peu trop épuisants, mais parfois le faisait-elle avec le sourire.

    À la sortie de la capitale, une tornade blonde leur passa devant. Nina reconnut, sans réprimer un frisson d’appréhension, la silhouette de Maélina, la jeune magicienne qu’elle avait dû escorter lors de son épreuve de passage au rang S. Heureusement pour l’électromancienne, Maélina ne se retourna pas. Elle se contenta de crier :

    « Reviens ici sale vaurien ! Je vais t’apprendre à cambrioler les boulangeries, moi, tu vas voir ! Mais reviens !! »

    Sans crier gare, Nina éclata d’un rire franc, faisant vibrer sa frange albâtre. Loki et Ényo ne comprirent pas, mais s’abstinrent de demander. Voir leur amie comme ça suffit à leur remonter le moral.

    « Bon, c’est pas tout ça, mais on a une mission à accomplir ! » s’exclama Ényo.

    Pour marquer le coup, ce moment-là fut choisi par Nina pour se saisir du collier d’ambre laissé par Zélos. Cette pierre, tout ce qu’il restait du sacrifice d’Igni, était devenu son bien le plus précieux le temps de se rétablir. Mais maintenant qu’elle avait retrouvé du poil de la bête, que sa magie était plus forte que jamais… Nina estima qu’il était temps.

    Elle plaça l’ambre dans sa main et ferma les yeux. Des volutes d’énergie se déployèrent en cercle autour de la roche, laissant émaner les plus belles nuances de rouge. Autour de l’ambre commença à se former une fine gelée… Et celle-ci grossit, grossit.

    Lorsque Nina rouvrit les paupières, un petit slime dormait dans ses mains. Igni… Comment le remercier pour tout ce qu’il avait fait pour elle ? Le pouvoir d’Asgard qui coulait dans ses veines était peut-être un cadeau, en fin de compte.

    Nina caressa le petit être alors qu’il commençait à peine à entrouvrir les yeux.

    « Bienvenue parmi nous, Igni. » sourit-elle tendrement.

    En jetant on œil vers le ciel, cherchant des yeux une île volante, Nina se sentit nostalgique. Tout avait commencé dans un salon de thé, à Era…

    FIN



    (Or is it… ?)



    by Nina

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