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    Midgard






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    Midgard par Liesel Engelwald Ven 02 Aoû 2019, 13:11
    Liesel Engelwald
    Liesel Engelwald
    Gardien du Savoir







    Midgard 190725040823710869
    Midgard

    Partie I – Perdu dans le brouillard



     Perdus.


    « Je le tiens ! Avel !
    — Niho ! »

    Les liens de papier qui tenaient le farfadet noir en place disparurent pour laisser un requin d’eau le déchiqueter. Le papier se remodela en lances qui empalèrent la créature.

    « Pfiou, je crois que c’était le dernier…
    — On dirait bien…

    Aux pieds des mages essoufflés, quatre petits démons, hors d’état de nuire. Liesel récupéra la bague que l’un d’eux avait volée. Ils pouvaient maintenant récupérer leur récompense. Ils allaient enfin déguster un véritable repas.

    Après la trahison d’Edda, le groupe était descendu de la montagne, dépité. Cette défaite signait la victoire d’Yggdrasil, et rien ne pouvait l’arrêter désormais. Qu’impliquait concrètement sa résurrection ? Précisément, ils n’en savaient rien, mais il était évident qu’elle comptait dépouiller les Hommes de leur libre arbitre. À l’échelle d’une ville ? Un pays ? Humanitas toute entière ? Personne ne pouvait imaginer sa puissance.

    Si elle avait su entremêler les fils du destin pour les nouer autour de Liesel et de ce groupe, ce alors que ses pouvoirs étaient en stase, elle était assurément capable de les découdre et de les tisser à sa façon une fois réveillée.

    Leur envie de combattre s’était éteinte. Dans la forêt au pied de la montagne, ils avaient trouvé une petite maison. Ils étaient dénués de motivation, la faim et la fatigue les avait poussés à y demander de l’aide. Le vieux monsieur qui y habitait leur avait répondu qu’il leur offrirait tout ce qu’il avait s’ils retrouvaient la bague de sa défunte femme, récemment volée par des petits diablotins.


    « Je ne savais pas qu’il existait de telles créatures, commença Avel, il n’y a rien de tout ça d’où je viens.
    — Mmh. Ce n’est pas la première fois que j’en croise, la première fois c’était… non… rien, oublie. »

    Chasser ces petits diablotins avait été la première mission de Liesel, à Æternitas. Celle durant laquelle il avait rencontré Ysaline…

    La maison était de l’autre côté de la forêt, ainsi Avel s’assit contre un arbre pour faire une pause. Il était essoufflé après ce combat acharné.


    « Ils étaient faibles mais tellement agaçants ! »

    Liesel restait debout, dos à lui. Avel soupira longuement. Il voyait bien que son camarade ne se sentait pas bien, mais comment lui remonter le moral ? Après ce qu’il venait de se passer, comment ne pas le comprendre.

    « Eh… On va trouver une solution.
    — Une solution… Il n’y a pas de solution…
    — Mais si ! Dans les légendes les héros trouvent toujours un moyen de vaincre le tyran.
    — Tu te trompes, nous ne sommes pas des héros. Face à elle, nous ne sommes rien, des insectes. Je ne sais pas dans combien de temps ses sceaux se briseront, mais quand ce sera le cas, tout sera perdu. Le seul moyen de la vaincre ce serait… Ysaline… »

    Liesel serra le poing. Il voulut frapper contre un arbre. S’il avait été seul, peut-être l’aurait-il fait, mais il sentit le regard intrigué d’Avel dans son dos.

    Ce garçon, qu’il était naïf. L’albinos avait l’impression de rencontrer ce même garçon qui avait rejoint Æternitas, bien des mois auparavant. Il voulait lui expliquer à quel point il avait tort, mais une pensée lui mit le doute une fraction de seconde : et si c’était lui qui avait tort ? Il devait l’avouer, un peu d’optimisme ne lui ferait pas de mal. Alors il s’assit face à Avel.


    « Mais Ysaline ne voudra pas nous aider, alors, qu’est-ce que tu proposes ?
    — Euh, j-je sais pas je… bafouilla le mage d’eau. Il faut regarder les légendes qui parlent d’Yggdrasil ! J’y connais pas grand-chose, t’as l’air d’être beaucoup mieux renseigné. En fait, je ne sais même pas qui vous êtes, tous… »

    C’était vrai, avec tous ces dangers, ils n’avaient même pas pris le temps de faire les présentations. Liesel se leva. Pour une raison inexplicable, l’innocence de son interlocuteur le poussa à sourire.

    « Liesel Engelwald. Ma famille était chargée de protéger Yggdrasil, dit-il en avalant sa salive pour ne pas penser à son père.
    — Tu… Mmh, Avel Poema ! fit-il en se levant à son tour. Je viens de Taewe. J’étais chargé de protéger l’un des grimoires, que l’on considérait comme sacré, des pirates nous l’avaient pris. Les choses ont mal tourné, je suis parti suivre la piste du grimoire et j’ai fini par rejoindre les Larmes.
    — Alors notre combat n’est même pas le tien, murmura Liesel.
    — Peut-être… Mais si j’aide le monde extérieur, peut-être que quelqu’un sera assez gentil pour aider ma ville ! Et puis même si ce voyage doit être mon dernier, j’ai vu tellement de choses magnifiques en Fiore et ici… »

    Liesel soupira. Cette naïveté, elle avait quelque chose de charmant, mais de tout aussi embarrassant. Il s’était peut-être dit la même chose, à Æternitas, après avoir rencontré un Ange et combattu des petits diablotins…

    Un rayon de soleil passa entre les feuillages pour éblouir Avel. La nuit allait bientôt tomber.


    « Ah, ne trainons pas, les autres doivent nous attendre ! »

    • • •


    À l’ouest, derrière la chaîne de montagnes, il ne restait d’Orilon que des ruines embrasées. Les quelques survivants pleuraient les défunts alors que la créature de flammes avait disparu. Au-dessus de cette désolation se tenait Ysaline, assise.

    « Cette garce, grogna-t-elle, elle a réussi à me blesser… »

    Elle retira l’un de ses bas déchirés pour panser sa plaie saignante sur la jambe. Albdæ et Helen l’avaient poussée dans ses retranchements et forcée à utiliser un puissant sort. La ville avait tout simplement explosé, mais cela ne fut pas sans conséquences pour la jeune fille.

    Avec une telle blessure, il était hors de question qu’elle poursuive Liesel.

    Adossée à un rocher, elle regretta un instant que les choses aient prit cette tournure. Ces villageois n’y étaient pour rien, après tout. Elle voulait simplement se venger de Liesel et d’Amadeus. Et après…

    Et après, elle n’y avait pas vraiment réfléchi. Ce garçon aux cheveux bleus lui avait posé une bonne question.

    Yolagaar, qui revenait de sa ronde, se posa sur la jambe d’Ysaline. Il fixa la plaie.


    « Dis… Tu crois que je ne m’y prends pas correctement ? »

    Elle caressa l’oiseau, qui ne répondit que par un petit piaillement.

    « Tant qu’il continuera de courir partout, il continuera à m’échapper. Le seul moyen ce serait de… »

    Son cœur se crispa. Etait-ce vraiment une bonne idée ? Elle regarda dans le vide un moment et se leva tant bien que mal. La seule façon de le savoir, c’était d’essayer. Et puis si ça tournait mal, elle pourrait toujours s’en sortir.

    « Yolagaar, retrouve les et reviens me dire où ils sont. Ils sont partis vers le nord-est, ils ne peuvent pas être bien loin. »

    Il contesta d’un petit bruit aigu, inquiet pour sa maîtresse.

    « Ne t’en fais pas pour moi, des secours sont arrivés en ville. Je me ferai passer pour une survivante. Va ! »

    Ainsi l’oiseau partit et Ysaline mit un pied devant l’autre, douloureusement, vers les ruines d’Orilon.

    • • •


    Après un repas bien mérité dans la demeure de ce vieux monsieur, Liesel était sorti pour s’asseoir sur un rocher. Il regardait les étoiles.

    Sa mère et Irina le rejoignirent. Avel était resté à l’intérieur avec le vieil homme. On entendait leurs rires à travers les fenêtres.


    « Il me fait penser à Ilhem, fit Irina sans lâcher des yeux le garçon à travers la vitre.
    — Le garçon qui t’accompagnait à Iceberg ? répondit Cläre. J’ai cru que c’était lui au début, mais en fait non. D’ailleurs, il n’est plus avec toi ?
    — Yggdrasil me l’a pris. »

    Cläre baissa les yeux, mais Irina resta droite.

    Elle n’avait pas vraiment envie de se venger. Après tout, elle avait fait son deuil d’Ilhem, qui n’était pas vraiment mort à ses yeux. Mais l’idée que quelqu’un d’autre puisse vivre ces tragédies la rendait triste. Et ce d’autant plus que les Engelwald venaient de perdre Eyrick.

    Elle pensa à sa peau. Le cristal qui la recouvrait allait sûrement bientôt faire d’elle une statue. Si elle devait se battre, serait-elle prête ? Chaque utilisation d’Evlogía ou Katára la tuait lentement. Était-elle prête à mourir pour ce combat ?

    Cläre s’assit près de son fils. Il renifla.


    « Mmh, j’ai discuté avec Avel tout à l’heure. Il est persuadé qu’on peut trouver une solution.
    — C’est vrai qu’il est très optimiste…
    — Il a dit que les réponses étaient peut-être dans les légendes.
    — On pourrait y trouver un début de piste, mais… Tu as toujours envie de te battre ? »

    Il ne répondit pas.

    La réponse était pourtant évidente : non. Il voulait juste en finir. Mais c’était trop tard. Il ne pouvait pas abandonner alors que c’était le dernier moment pour agir, mais il en avait tellement envie… Il en avait assez.


    « Il le faut, interrompit Irina, pas vrai ? Yggdrasil est responsable de tellement de choses… Sans le premier livre qu’on a trouvé, j’aurais eu une enfance normale. Tant de gens seraient encore parmi nous. Ysaline serait encore là… »

    Elle se surprit elle-même et mis sa main devant sa bouche. Peut-être qu’au final, elle était bel est bien prête à se battre.

    Liesel soupira.


    « Tu as raison Irina, mais… mais je ne sais pas vers où aller, je suis complètement perdu. Je veux juste… »

    Sa gorge se serra. Il ne voulait pas pleurer, mais la douleur dans sa gorge lui disait de lâcher prise. Sa mère finit sa phrase à sa place.

    « Rentrer à la maison… C’est là qu’on trouvera les réponses. »

    Par la maison, elle n’entendait pas leur résidence à Bosco. Elle parlait du village du clan Engelwald, à Iceberg. Ceux qui protégeaient Yggdrasil.

    « Avel a raison. Tout a commencé avec ces livres à la noix ! Si on peut sceller à nouveau Yggdrasil dans d’autres fragments, alors elle ne se réveillera pas !
    — Ce serait juste fuir, fit Liesel
    — Non, on gagnerait du temps, beaucoup. Une bataille où l’ennemi est plus fort, ça se prépare. On ne vaincra que par la ruse.
    — Je suppose que tu as raison, mais comment on va-t-on la sceller à nouveau ? »

    Ils réfléchirent. Il y eut un petit blanc, durant lequel le vent s’engouffra entre les arbres, faisant frissonner le groupe.

    « J’ai peut-être une idée… fit Irina. Elpída. Tout comme j’ai enfermé l’âme d’Ilhem dans un de ces cristaux, je peux peut-être faire pareil et sceller au moins une partie de son âme.
    — Mais Irina…tu…
    — Je sais… Les magies perdues sont maudites et la mienne risquerait de me tuer. J’en ai parfaitement conscience.
    — Ne te sacrifie pas toi aussi… s’il te plaît… »

    Elle prit une grande inspiration et échappa un petit rire.

    « Quand Ilhem est parti, il souriait. C’est grâce à lui que j’ai pu fuir la guilde noire de mon père et grâce à toi Liesel que nous avons pu la vaincre. Mais Yggdrasil était à la source de tout cela. J’ai fini par accepter mon sort, mais si d’autres sont condamnés, je refuse de rester là sans rien faire !
    — Quelle détermination, fit Cläre en se levant. À bien y réfléchir, je pourrais dire exactement la même chose. Les Leoni ont fait perdurer la tyrannie de Némée grâce à Nifelheim… Si tu ne veux pas te battre, je comprendrai totalement, Liesel. Mais c’est notre dernier combat ! Nous pouvons le faire ! »

    Il vit les deux visages souriants. Son cœur tremblotait mais face à tant de détermination il ne pouvait que se lever et se motiver une dernière fois.

    « Si Asgard a pu enfermer Yggdrasil dans des livres, nous pouvons peut-être faire pareil. Mivard Drosin pourrait nous aider. »

    Ils purent s’offrir une nuit plus ou moins confortable. Avel s’était sacrifié pour dormir sur un vieux matelas. L’homme n’avait pas assez de lit pour tout le monde, mais après les deux jours intenses que le garçon avait vécu auprès d’Ysaline, c’était suffisant.

    Le lendemain, il fallait partir. Desierto n’était pas la porte à côté, mais contre toute attente, le vieux monsieur qui les hébergeait était un ancien mage.


    « Je ne suis plus tout jeune, mais dans le passé, j’étais mage. Oh, j’ai beaucoup perdu, mais si vous allez loin, je peux essayer de vous avancer. »

    La chance leur souriait une nouvelle fois ! L’homme rouspéta en entendant Desierto, en ajoutant qu’être aussi précis sur une telle distance serait difficile. Il remua le bras et un disque de lumière apparut devant lui. Le souffle chaud qui en émanait montrait qu’il ne s’était au moins pas trompé de pays.

    « Eh bien, ravi de voir que je n’ai pas perdu la main. La cité de Neferet vous attend. Enfin je crois. Je ne sais pas vraiment où vous allez atterrir dans la ville, mais j’ai fait au mieux ! Bon courage ! »

    Ainsi le groupe passa la porte et se retrouva sous le soleil brûlant du désert.

     Neferet.


    L’air sec du désert coupa net la respiration de Cläre, qui n’avait jamais connu pareille chaleur de sa vie. Elle suffoqua un moment et employa sa magie pour se rafraîchir. Les flocons qui flottaient autour d’elle fondaient si elle ne se concentrait pas suffisamment.

    Mais il fallait trouver Mivard Drosin. Quand il était parti avec Ysaline et Amadeus, Liesel avait lu le journal des recherches de son mentor. Il y faisait mention du « papier quadridimensionnel ». Le garçon n’y avait rien compris et les notes peu claires du vieillard n’avaient pas aidé. Mais en y repensant, c’était peut-être ce dont ils avaient besoin.

    Le chemin de la bibliothèque fut facile à trouver du fait du silence pesant qui planait sur la ville. Pourtant, à mesure qu’ils s’approchaient du bâtiment, un brouhaha s’intensifiait.


    « Une manifestation ? fit Cläre, le visage ramolli par la chaleur.
    — On dirait, répondit Avel. Regardez leurs pancartes, à mort Drosin… Ce type ne doit pas avoir la vie facile.
    — C’est celui que nous cherchons, mais si nous passons par la porte principale… »

    Intrigué par cet accès de rage citoyenne, Liesel ne voulut pas s’embêter. Des craquements retentirent dans le souk et un nuage de papier explosa. Attirés par ces feuilles, qui ne pouvaient être que le signe du vieillard, la manifestation se déplaça, laissant les portes de la bibliothèque libres d’accès.

    « Pauvre marchant…
    — Il m’a arnaqué il y a longtemps, ce n’est qu’un retour de bâton. Entrons. »

    L’intérieur n’avait pas changé. Jusqu’au moindre grain de poussière, tout était à sa place. Ils traversèrent le grand hall où Ysaline avait dansé et se rendirent à l’étage, la salle principale.

    Mivard était assis à son bureau, grommelant des choses devant une gros livre décoré. Sans lever la tête, il accueillit le groupe.


    « Bienvenue Liesel ! Merci d’avoir fait fuir mes poursuivants. »

     Salle principale.


    Il leva la tête et sourit.

    « Oh, tu es accompagné ! J’ai senti ta magie dans le souk d’ici. Tu t’es encore amélioré ! Mais moi aussi, tu ne devineras jamais ce que je viens d-
    — Monsieur Drosin, le coupa-t-il, j’ai besoin de vous. C’est urgent.
    — Dis m’en plus, s’inquiéta l’homme, pourquoi venir me voir alors que tu es maintenant un mage brillant ?
    — Pour le formuler simplement, j’ai besoin d’enfermer une âme dans un livre. »

    Mivard se gratta la barbe. Un sourire en coin fendant son visage, il finit par rire, et les feuilles sur son bureau semblèrent rire avec lui.

    « J’ai réussi ! J’ai percé le secret du papier quadridimensionnel ! Je n’ai pas encore eu l’occasion de le tester, et c’est un sacré défi que tu me demandes. Si y arriver du premier coup me semble peu probable, sache que c’est possible ! »

    Irina montra sa joie en sautillant et Avel leva son pouce pour l’encourager.

    « Ça n’a pas été facile, j’ai dû user de mes contacts au gouvernement pour me financer, la cité est fauchée, mais ma machine est pr-
    — Vous avez fait quoi ?! s’agaça Liesel.
    — Eh bien mes recherches sont essentielles.
    — Voilà pourquoi ces gens vous en voulaient, vous volez l’argent du peuple ! On s’est battus pour leur rendre leur liberté, j’ai failli en mourir ! Et vous profitez d’eux pour alimenter votre folie ?! »

    Mivard resta scié. Tout le monde resta immobile, seule la mère posa sa main sur l’épaule de son fils comme pour lui dire de se calmer. Constatant le malaise général, le garçon n’eut d’autre choix que de s’excuser.

    « Pardon… je… je n’aurais pas dû crier.
    — Si ça marche, rassura Cläre, alors ce peuple aura souffert pour les bonnes raisons. C’est un combat dont ils n’ont pas conscience, ils en voudront toujours à ce monsieur, mais leur sacrifice ne sera pas vain. »

    Le vieil homme pouvait sentir que l’équilibre du garçon était perturbé. Un frisson avait parcouru la bibliothèque quand il avait crié. Un souffle chargé de chagrin.

    Ainsi il ne tint pas rigueur de ce rappel à l’ordre. De plus, il n’avait pas tort.

    Mivard les guida jusqu’à la salle supérieure. Les vitres s’élevaient jusqu’au plafond, mais elles s’étendaient au-delà encore pour illuminer les combles de la bibliothèque.

    La lumière s’engouffrait sous ce toit. Sous celui-ci trônait un grand mécanisme intriguant : des dizaines de cercles et rouages enchevêtrés autour d’un cristal bleu à sa base. À l’arrêt, la machine avait l’air de tenir en équilibre comme un gyroscope figé.


     Verrou spatial.


    « J’ai fait venir de la capitale les meilleurs orfèvres et mage pour ce projet. Je peux l’affirmer clairement, j’ai réussi à créer une dimension ! »

    C’était impressionnant. Il allait sans dire que ce projet avait demandé beaucoup de temps et de ressources, c’était clair quand on observait les piles de livres traitant du sujet autour de la machine.

    Mais Liesel s’inquiéta. Mivard devait maintenant s’y connaître, mais il ne pouvait s’empêcher de penser que cette dimension ne serait pas assez pour retenir Yggdrasil. Même si Irina mettait en plus son pouvoir en application, il était difficile d’estimer toute l’énergie qui serait nécessaire.

    C’était pourtant leur seule solution. Si le livre n’était pas suffisant pour au moins l’affaiblir, alors Irina interviendrait. Et si la pierre d’Elpída n’était pas suffisante non plus pour juste l’entraver… Alors le combat était perdu, il n’y avait aucun espoir.

    Irina, qui lisait très bien l’anxiété sur le visage de l’albinos, voulut le rassurer.


    « Liesel, nous allons y arriver ! Je ressens une puissante magie dans ce mécanisme. Et dans le pire des cas, je suis prête à intervenir. Tu sais que ma décision est prise et que je n’aurais pas peur de le faire. »

    Elle avait raison, il devait leur faire confiance ! Il s’était senti si seul au sommet du volcan face à Desdemona, mais cette fois-ci il était entouré.

    « Oh, par ailleurs oui, monsieur, auriez-vous lu des légendes au sujet d’une pierre d’Elpída ?
    — Mmh laisse-moi réfléchir… »

    Il ferma les yeux et trouva presque immédiatement trois livres faisant mention de cette pierre. Ces derniers volèrent jusqu’aux combles.

    Il fit défiler toutes les pages en quelques secondes et put déterminer l’emplacement précis de ce qu’elle cherchait.

    À l’extérieur, la manifestation avait repris de plus belle.


    « Il y en a une à Bosco ! Ce n’est pas à côté, mais si le papier est d’accord je peux vous y emmener…
    — Bosco, mmh…
    — Si elle est suffisamment puissante je devrais pouvoir accéder à son pouvoir de n’importe où. J’espère simplement qu’elle sera assez grande…
    — Monsieur Drosin, j’imagine que ce mécanisme est prévu pour ouvrir cette fameuse dimension ? Si c’est le cas, j’ai besoin qu’il soit modifié. Je souhaite verrouiller cette porte. Puis détruire la machine.
    — Des années de recherches… Mais je te l’ai déjà dit, les amis du papier sont mes amis, je sais que tu as tes raisons et qu’elles sont justes. Tiens. »

    Mivard tendit un livre au garçon. Un large grimoire décoré de pièces dorées formant une mosaïque qui rappelait les couleurs de la grande machine. À vrai dire, seul Liesel put comprendre qu’il s’agissait d’un livre : les motifs d’or recouvraient l’intégralité de l’objet, ne laissant aucune page visible. En son centre se tenait une petite lacryma bleue.

    « Voici la porte. La machine n’est que la clé. Nous pouvons faire un essai… »

    Le grand gyroscope se mit à pivoter, chacun de ses cercles tournant dans un sens différent. Des grincements aigus sonnaient dans la pièce. Liesel toucha la sphère dans le livre et il commença à léviter.

    La mosaïque se décomposa, révélant au groupe les pages vierges du mécanisme.


    « Ça fonctionne ! Ces pièces dorées sont un métal spécial qui bloque tout dégagement magique. C’est le seul moyen que nous avons trouvé pour que la dimension ne soit pas instable. »

    Les pièces de métal tourbillonnaient autour du grimoire, qui se referma aussitôt sous ordre de Mivard.

    La machine s’arrêta de tourner et le silence revint. Un silence total. La manifestation s’était tue.


     Le livre.


    « Parfait ! Prends ce livre et va. Quand tu auras capturé cette âme, je serai ici pour l’enfermer définitivement.
    — Merci beaucoup, monsieur Drosin…
    — Attendez, intervint Cläre. Vous ne trouvez pas bizarre que la manifestation se soit arrêt- »

    Un hurlement la coupa.

    Les cris s’enchaînèrent à l’extérieur et la manifestation s’étala.

    Dehors, une fille encapuchonnée marchait lentement, semant la terreur derrière elle. Derrière la vitre, un oiseau de feu apparut et s’abattit sur les citoyens de Neferet.


     Menace.


    « Encore cette folle ?! s’exclama Avel.
    — Il faut protéger les habitants ! »

    Irina fut la première à bouger, mais Mivard la coupa.

    « Je suis peut-être irresponsable, mais je ne suis pas inconscient ! Hors de question que quelqu’un fasse du mal à ce peuple ! Les enfants, partez, je m’occupe de la retenir.
    — Moi aussi ! intervint Liesel.
    — Si Liesel se bat, pas sans moi. »

    Cläre dégaina son épée et le groupe partit dans le hall principal.

    Les bruits de pas lents dans le couloir sombre étaient des plus inquiétants, mais au cœur d’une bibliothèque et aux côté de son mentor, Liesel n’avait pas peur. Après tout, il s’était déjà battu contre un incendiaire ici.

    La silhouette de la fille à capuche apparut bientôt dans l’ombre, et ses pas tranquilles laissèrent à tout le monde le temps de préparer un sort.

    La femme s’arrêta quand le jour frappa enfin son manteau. Elle n’était pas…

    Elle leva la tête et une chevelure rousse se révéla, accompagnée d’un oiseau. Pourtant le groupe s’était trompé. Ce regard mystérieux ne trompa pas les Engelwald, celle qui se tenait devant eux n’était pas Ysaline, mais Plume, la gardienne d’Yggdrasil.


    « Liesel. »

    Mais alors qui avait invoqué cet oiseau de feu à l’extérieur ?

    L’intéressa s’avança, détendu car il n’était pas seul.


    « Je t’ai dit de revenir me voir quand tu serais décidé à corriger ton erreur. Au lieu de cela, tu complotes contre Yggdrasil ? Et toi Cläre, je te pensais dans notre camp. Décidemment, tu as le chic pour ne pas tenir tes promesses.
    — C’est toi qui a attaqué les habitants ?!
    — Oui. Yggdrasil m’a parlée, pour la première fois. J’ai entendu Sa voix. Un homme et une femme mêlés, unis. Elle m’a dit ces mots : les élus sont perdus, il faut leur montrer le chemin de la foi. Je tisserai à nouveau les fils du destin, ne les laisse pas interférer. Ah… Yggdrasil… Enfin vous m’avez reconnue comme votre véritable gardienne ! ENFIN ! JE VAIS HONORER VOTRE VOLONTÉ ! »

    Elle leva les mains et des dizaines de hiboux perchés en hauteur se manifestèrent comme s’ils avaient toujours été là. Elle ricana. Toute sa folie se concentra dans le regard malsain qu’elle jeta à Liesel.

    « Tu l’as trahie et tu vas payer.
    — Maman… Pars avec Irina et Avel. Je veux m’occuper d’elle personnellement.
    — Liesel, je veux t’aider ! »

    Cette aura reconnaissable entre mille, celle de l’arbre mêlée à celle du démon, c’était répugnant.

    Liesel pensa à son père et serra le poing.


    « Laisse-moi m’en charger s’il te plaît… Pour papa… »

    Elle ferma les yeux. Elle comprenait. Se retourner contre son clan, c’était à son tour de le faire. Sa manière d’affronter son héritage maudit. Mais si elle partait comment le protéger ?!

    « Je ne mourrai pas ici ! Fais-moi confiance… »

    Cette marionnette… Le garçon ne voyait en elle qu’un avatar impie, une occasion de se venger. Il se souvenait, sa magie ne fonctionnait que s’il était consentant. Non, il ne voulait pas oublier son père, ni ses combats. Il en avait marre, mais face à cette poupée, il sentit la colère l’envahir. Cette même colère qui l’avait pris au sommet du volcan face au démon quand sa déesse l’avait abandonné.

    Cläre se résolut à partir face à la détermination de son fils. Mivard également se mit à l’écart sous l’ordre du garçon. Ils partirent par une porte cachée, derrière le bâtiment.

    Le maître du papier construisit une grande fusée.


    « Je vais remonter pour veiller sur le mécanisme, vous, trouvez la pierre !
    — Non ! intervint Avel ! Je reste ! Je veux juste… m’assurer qu’il va bien ! »

    Il descendit de l’appareil et courut vers l’intérieur. Cläre le somma de s’arrêter, mais il s’imposa.

    « Comme il l’a dit… Ce n’est pas mon combat. Je suis simplement là pour aider, et cette fille était trop sûre d’elle ! »

    Il disparut derrière la porte et la fusée décolla vers Bosco à une vitesse fulgurante. Alkael suivit Mivard dans les combles.

    Dans la salle principale, la tension était palpable autour de Liesel.

     La plume qui écrit l’Histoire.


    « À mesure qu’Yggdrasil grandit, mes pouvoir grandissent aussi. Penses-tu vraiment pouvoir vaincre son ultime élue ? »

    Liesel prit une grande inspiration.

    « Oui. »

    Sans aucun mouvement du garçon, la bibliothèque sursauta, tirant sur Plume une salve de lances acérées sorties des murs.

    Elles se logèrent dans le sol. Plume n’était plus là.

    Mais elle y était pourtant la seconde d’avant ! Comment avait-elle pu bouger aussi vite ?! Puis Liesel se souvint qu’elle avait lentement marché jusqu’à lui, derrière lui. Derrière lui !

    Un mur de papier vint bloquer la lame éthérée qu’elle maniait.

    Liesel invoqua plusieurs scies qui tranchèrent l’air de la pièce, mais Plume refit le même sort et Liesel oublia qu’elle avait esquivé l’attaque.

    Elle était plus coriace que ce qu’il pensait, alors il leva le bras, et la dizaine de milliers de livres de la salle principale se déchira. Chaque feuille vola en trajectoire linéaire, aussi tranchante que des guillotines. L’air tout entier fut converti en un gigantesque hachoir immaculé. Il évitait soigneusement Liesel, le rasant de près, ne laissant aucun abri où se cacher.

    Pourtant, aucune tâche de sang n’apparaissait.

    Debout, perchée sur une petite plateforme de papier comme les faisait Liesel, elle était bien au-dessus de cette boucherie. Le garçon ne se rappelait même plus qu’elle avait ri face à tant de futilité.


    « Memory Make : Yolagaar ! »

    Un cercle magique apparut, révélant sa position. Liesel interrompit son sort et redevint alerte. Un oiseau de feu plongea sur lui, le jetant en arrière. La bibliothèque prit feu une nouvelle fois.

    Dans ce décor familier, il se releva. Il suffoquait, comment l’air s’était-il asséché si vite ?


    « Tu es faible. »

    Caressée pas les flammes, elle flotta au-dessus du brasier, les bras écartés.

    « Yggdrasil m’a désignée comme sa plume. J’écris sa volonté pour qu’elle devienne tangible. Mais je vais te gommer de l’existence ! WALTZ DES ENGELS ! »

    La vision de Liesel se brisa. Les flammes se divisèrent en deux spectres verts et mauves. Un tourbillon de vertiges le prit alors que son âme était jeté dans le passé, dans ses souvenirs. Devant lui apparut Khalis, le mage qui avait incendié Neferet par le passé.

    « Des mirages… »

    L’albinos devait se ressaisir ! Il sortit deux dagues en forme de papier et fonça vers Khalis. Il le vit se tourner pour jeter une gerbe de flammes, qu’il esquiva en glissant sur un sol de papier qui l’aida à se relever. Ce sol se découpa et se plia en shurikens filant vers l’homme. Un souffle embrasé balaya l’attaque et le garçon.

    Projeté en arrière, Liesel se releva, mais deux nouveaux mirages de Yolagaar et une boule de feu le prirent de cours. Le modeste mur blanc qu’il invoqua fut réduit en cendre et l’albinos prit les trois attaques de plein fouet et fut mis au tapis.

    Il ne pouvait pas perdre si facilement ! Desdemona était bien plus fort que ça, il fallait qu’il se montre à la hauteur ! Pour son père !

    Il repensa à sa voix, qui résonna comme si elle était réelle dans la pièce. Un genou à terre, il fit une pause une seconde pour réfléchir. La magie de cet espace ne pouvait pas le tromper, c’était bien la Forêt des Anges, ce labyrinthe d’illusions dont Yggdrasil était la maîtresse. Elle venait de l’étendre d’Iceberg jusqu’à Desierto comme si de rien n’était ?

    Ou alors elle n’avait fait qu’ouvrir une porte ? Peut-être que le domaine de l’arbre s’étendait sur Humanitas et qu’il suffisait de basculer légèrement la réalité pour s’y retrouver ! Mais Liesel avait aussi appris à se servir de cette énergie, accéder à Nifelheim d’ici semblait possible, alors dans ce cas…


    « Memory Make : Remus Cornix ! »

    Un arsenal de plumes embrasées entoura la gardienne. À son ordre, elles se jetèrent sur Liesel qui reprenait ses esprits.

    Il ramena près de lui des livres encore intacts qui s’ouvrirent et l’enrobèrent.


    « Nifelheim ! »

    D’un coup, le papier se gela. Le garçon piégé dans cette prison de glace fut protégé des flammes, mais la chaleur fit rapidement fondre son bouclier.

    Les pieds dans l’eau, Liesel ne put s’empêcher de penser à Avel.

    Le garçon vit le liquide s’élever. Sur ses gardes, il observa l’eau comme dotée de conscience s’élargir et se jeter sur les flammes qui le menaçaient.

    Anormalement humide, la pièce se teinta de bleu, laissant des bulles d’eau apparaître entre les flammes. Au cœur des éléments antithétiques, Liesel vit une fille de dos. Ses cheveux bleus flottaient comme si elle se tenait debout au fond de l’océan. Elle se retourna lentement.


    « Maili ! »

    Avel apparut derrière l’albinos. La fille disparut avant qu’il pût voir son visage. Une illusion ? Non, Avel semblait bien réel. Il s’appuya sur son épaule pour se relever et confirma par un regard complice qu’il pouvait bien compter sur lui.

    « Ses souvenirs interfèrent avec ceux de Liesel ?! Son destin doit être aussi important… Mais soit, puisque la volonté d’Yggdrasil est de vous détruire, je me porte garante de sa réalisation ! »

    Le rire de Khalis fit danser l’ombre du Poema. Les deux garçons s’éloignèrent de quelques pas en voyant l’ombre prendre forme. Nazir en sortit. Le mage d’eau qui accompagnait Khalis. Le troisième de l’équipe, le mage de vent, Iyàs, apparut derrière Liesel.

    Les trois hommes réunis, ce que craignait l’albinos arriva : leurs corps fusionnèrent, donnant naissance au puissant mage qui avait défendu la tyrannie de Neferet. Un souffle de vapeur brûlante tourbillonna vers les deux garçons, mais le mur d’eau élevé par l’un d’eux retint le sort.


    « Avel… Je voulais la combattre seul à seul.
    — Eh bien maintenant c’est deux contre deux ! Avec moi ! »

    Il comptait donc lui voler sa vengeance ? Non, il ne devait pas le prendre comme ça… Sans lui, ce combat l’aurait épuisé, il fallait qu’il accepte son aide…

    Avel se jeta dans son mur, diluant son corps dans une vague qui glissa jusqu’à l’adversaire. Il reprit forme et sa respiration, abattant son épée sur un jet de vapeur haute pression.

    Une ouverture ! Liesel bougea pour attaquer, mais l’ennemi utilisa son autre bras pour jeter un deuxième jet meurtrier. Il fallait esquiver, mais comment ?! Le garçon jeta une lance de papier sur le côté, et écarquilla les yeux en voyant la vapeur atteindre sa peau.

    La lance fleurit, la tête devint un visage et le corps s’étendit pour former un être humain. Le copie parfaite de Liesel née de l’arme se révéla être l’original quand l’air bouillant n’avait pulvérisé qu’un leurre de papier. L’Engelwald profita de la confusion pour planter une dague de papier dans le cœur de l’adversaire, qui hurla de douleur.


     Survivre à un enfant mort.


    Le cœur continua de battre. Chaque pulsation couvrait Liesel de sang. Accompagné d’un cri horriblement prolongé, la mort de la créature prenait une éternité. Elle devint amorphe, changeant de forme en s’étalant doucement sur le sol, l’arme toujours dans la poitrine. Autour de la lame apparurent deux seins, et les cheveux noirs de jais s’éclaircirent en un blond éclatant. Liesel recula, terrifié.

    La bibliothèque disparut, seul le noir entourait les deux mages. L’unique flamme qui restait s’habilla du visage d’Ysaline. Blessée, elle tenait à peine debout devant la scène de crime.


    « Liesel… Tu me dégoûtes. »

    Autour du garçon flottaient des grandes poupées. Leurs yeux luisaient et condamnaient le criminel.

    Son premier meurtre… Cette femme qui avait perdu son fils et qui l’avait confondu avec Liesel. Il l’avait tuée de sang-froid. Elle gisait à nouveau sur le sol, et au-dessus d’elle, l’albinos couvert de sang, poignardé par le regard déçu d’Ysaline. Il détendit ses épaules, retenant ses larmes. L’illusion fonctionnait.


    « Tu sais très bien que je n’avais pas le choix…
    — Chaque fois, tout est de ta faute… Tout le monde meurt à cause de toi ! Et tu en récupères les lauriers, mais chaque fois je souffre…
    — Ce n’est pas ce que je voulais !
    — Je pensais être maudite, mais non, en fait… Tu ne t’en rends pas compte, tu es un monstre, une malédiction ! »

    Liesel tomba à genoux sur le sol rocheux. Autour de lui, les cercles de laves qui trônaient sur Jöltereg. Au sommet du volcan à nouveau, lui-même couvert de blessures face à Ysaline souillée, il n’osait pas la regarder. Ses yeux le brûlaient. Il n’avait pas le droit de pleurer après ce qu’il avait fait.

    Il repensa à Irina, prête à se sacrifier pour ce dernier combat. Il repensa à sa mère, dont la liberté avait presque été volée par les Leoni. Il repensa à Ilhem, que le Malesla avait emporté. L’image de son père se sacrifiant pour le sauver le frappa. Puis il leva les yeux.


    « Le vrai démon ici, c’est toi. »


    Fiche de RP (c) Miss Yellow

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    Re: Midgard par Liesel Engelwald Ven 02 Aoû 2019, 13:55
    Liesel Engelwald
    Liesel Engelwald
    Gardien du Savoir







    Midgard 19080108390014507
    Midgard

    Partie II – Destinée (1/2)



     Course.


    Enfermées dans la fusée de papier, Cläre et Irina ne purent voir l’extérieur. Et heureusement : sans ce cockpit opaque, le vent les aurait balayées hors de l’appareil. Elles avaient pourtant senti la machine descendre.

    Au lieu de se poser, la fusée s’était simplement écrasée violemment contre le sol, dans une pluie de confettis monochromes. Les deux passagères étaient pourtant intactes, grâce aux parachutes qu’avait intégrés Mivard. En une vingtaine de minutes seulement, elles avaient atteint Bosco, là où se trouvait, d’après les légendes, une pierre d’Elpída.


    « Eh bien, ma chère Irina, c’était mouvementé, mais nous y sommes… Plus qu’à trouver cette pierre.
    — Je crois que je sens quelque chose… là-bas ! »

    Elle pointa du doigt le sud-ouest. La forêt dans laquelle elles se trouvaient cachait tout le soleil que le ciel avait à offrir. Elles se mirent donc en route, inconscientes de l’invitée qui les observait.

    Le papier n’avait pas échappé au regard affûté de Yolagaar, qui avait dévié de sa route vers le sud-ouest. Il avait donc prévenu Ysaline qui grâce à des ailes de feu les avait suivies. Mais elle n’avait aucune intention de se battre. Sa blessure était un désavantage trop grand.

    Les deux femmes approchaient de leur objectif. Même Cläre en était certaine du fait du bruit cristallin qu’elle entendait parfois. De plus, des petites pierres vertes lévitaient autour d’elles.


    « Elle est toute proche mais… je n’ai jamais senti une telle puissance…
    — C’est dangereux ?
    — Je ne pense pas. Je suis simplement enthousiaste. Ce sera peut-être suffisant pour retenir Y-… »

    Elle se coupa.

    Derrière les quelques arbres qui les séparaient de la clairière s’élevaient un végétal gigantesque. Comme une carapace, il retenait soigneusement la pierre d’Elpída d’une taille incroyable. Plusieurs mètres de haut, assurément, et combien de largeur ? Le déterminer était difficile, mais même Cläre sentait en elle ces petites ondulations éthérées qui émanaient de ce grand arbre.


     La pierre.


    « C’est magnifique… »

    Cläre resta immobile, les bras pendants devant tant de beauté. Irina s’avança doucement, le cœur palpitant. Elle tendit la main, mais une voix masculine l’arrêta.

    « Ne touchez pas la pierre sacrée ! »

    Derrière le duo, des dizaines d’arcs tendus. Un groupe d’hommes habillés de peaux et de fourrures était en joue. Elles levèrent les mains. Une femme sortit de l’ombre. La voix grave se révéla être la sienne.

    « Je savais que cet oiseau de feu n’était pas bon présage. »

    Cläre fronça les sourcils. Ysaline les avait rattrapées ? En passant de Pergrande à Desierto puis Bosco, comment avait-elle pu les retrouver si facilement ? Ce devait être son familier…

    Ladite Ysaline ne tarda d’ailleurs pas à se manifester. Cläre vit derrière le groupe des étoiles orangées slalomer entre les arbres. Juste avant qu’elle se mette à terre, elle vit les paires d’ailes qui décoraient ces lueurs. Puis les archers disparurent dans une déflagration qui propulsa Irina et Cläre.


    « Elle ne nous lâchera jamais… Bon sang ! »

    Cläre se servit de son épée pour se redresser. Debout devant les cadavres, elle vit Ysaline brûler une branche qui la gênait pour passer. Le feu s’arrêta avant que le reste de l’arbre soit incinéré, et la pyromancienne soupira en voyant la mère prête à se battre.

    « Je ne vois pas Liesel, il n’est pas avec vous ?
    — Non, et je vais personnellement m’occuper de toi ! »

    Cläre glissa sur un parquet de glace et abattit son épée sur la jeune fille. Ysaline leva la main et para le coup avec sa paume. Sa peau s’était durcie, décorée de filets de lave.

    Pourtant, son genou flancha et elle gémit. Portant l’autre main sur sa blessure, elle supplia son adversaire de se retirer.


    « Je ne suis pas là pour me battre ! J’ai un marché à vous proposer ! »

    La mère recula d’un saut, méfiante. Ysaline prit un instant pour souffler. Sa jambe lui faisait plus mal que prévu.

    « Bon… Comme vous le savez, je suis à la recherche de Liesel pour me venger.
    — Tu crois que je vais te donner la vie de mon fils sur un plateau ?!
    — Non, mais j’ai quelque chose d’inestimable… La source du feu. Si votre plan échoue, le monde court à sa perte, pas vrai ? J’ai une autre revanche à prendre sur Amadeus. À vrai dire, plus importante. J’accepte de vous aider ! À condition que, si l’on gagne, j’affronte Liesel. Seule. »

    Cläre serra les dents. Vaincre Yggdrasil en échange de la vie de son fils ?! Et puis quoi encore !

    Pourtant, il fallait l’avouer, leur plan étant bancal. Il fallait qu’elle en sache plus. Donner Liesel était hors de question, mais si elle pouvait ruser pour la manipuler, alors ça valait peut-être le coup.


    « Qu’est-ce que me prouve que tu ne vas pas l’attaquer dès que tu le verras ?
    — Cette blessure… Je pourrais bien sûr mettre le feu à cette forêt et brûler toutes les bibliothèques du monde, je sais que Liesel est rapide et que mes chances de gagner sont entravées à cause de ce qui arrivé à Orilon. »

    Le sacrifice d’Helen n’était donc pas vain…

    « Il n’y a quelque chose que je ne comprends pas… Pourquoi en as-tu après Liesel ?
    — Tout ce qui est arrivé et arrivé par sa faute. Il est le premier aventurier que j’ai croisé en fuyant mon manoir. Il a ensuite assassiné cette pauvre femme de sang-froid, une mère qui ne voulait que revoir son fils. Vous comprenez, vous, n’est-ce pas ? Si vous perdiez Liesel, vous seriez prête à tout pour le retrouver ?
    — Évidemment, mais-
    — Et il l’a poignardée. Sans la moindre once de culpabilité. Si j’avais su… Ce n’était que le début. Xylia, Adam, Amadeus… Ils sont tous morts à cause de lui… »

    Irina se releva. Elle crut comprendre la colère d’Ysaline et décida d’intervenir.

    « La mort de Xylia et d’Adam n’avaient rien à voir avec Liesel ! Ils sont tombés dans notre guerre… Tout comme Ilhem. Et tout comme moi, si nous devons en arriver là. Liesel aussi à beaucoup perdu dans ces combats ! Nous avons tous perdu. Ysaline ! Tu te trompes d’adversaire !
    — Liesel aussi était un pion d’Yggdrasil, compléta Cläre, nous tous ! Si tu veux le haïr, soit, je ne t’en empêcherai pas… Mais notre combat est aussi le tien ! Alors mets ta colère de côté pour une seule bataille et aide nous à nous libérer, à te libérer ! »

    Ysaline resta silencieuse.

    Elles n’avaient pas tort mais… Elle avait fait fausse route ? Ou elles voulaient profiter d’elle ? Pourtant ça ne ressemblait pas à Irina. Cette idiote toujours collée à Ilhem ! Mais à bien y réfléchir, c’était à cause d’Ysaline qu’Ilhem avait été blessé. Sans elle, le Malesla ne l’aurait pas emporté. C’était pour la sauver que Xylia était morte, entraînant Adam dans l’au-delà… La vraie coupable c’était… elle…

    C’était impossible ! Elles ne pouvaient pas comprendre ce que ressentait Ysaline, cette culpabilité qui nourrissait sa rage. Liesel était indifférent, ça lui était égal ! Ou alors il souffrait en silence ?

    Ysaline se remit en question. Sa respiration s’accéléra et son cœur battait plus vite. Immobile, elle regardait le sol, dans un silence habité par les bruits de la pierre.


    « Je peux te laisser le temps d’y réfléchir, fit Cläre, mais nous nous affairons à combattre le vrai coupable, Desdemona. Alors s’il te plaît, ne nous gêne pas. »

    Irina se tourna et observa le cristal. Il était chargé d’énergie, il était possible de faire comme pour Ilhem, d’enfermer Yggdrasil. Mais comment savoir quand agir ?

    « Irina, je vais me rendre à Iceberg, là où se trouve Yggdrasil. Si je pose un cercle magique par ici, je devrais pouvoir faire tomber la neige. Ce sera le signal pour que tu emprisonnes notre adversaire. Tu t’en sens capable ? »

    Elle hocha la tête. Cläre regarda longuement Ysaline, toujours figée. Elle voulut ajouter quelque chose, mais ne sachant que dire, elle se mit en route. Au premier pas cependant, la pyromancienne l’interrompit.

    « Attendez… »

    Son cœur battait à toute allure. Sa gorge la serrait et son crâne donnait l’impression qu’il allait exploser. Elle laissa un blanc avant de finir sa phrase. Sans cette pause, elle aurait éclaté en sanglots.

    « Si… Si je vous aide… Est-ce que… Je serais… Pardonnée pour mes crimes ?
    — Ysaline… Personne ne t’en a jamais voulu. »

    Aux mots d’Irina, Ysaline ferma les yeux. Elle avala sa salive comme pour engloutir toutes ses émotions.

    « Je vais essayer de vous aider. Je me vengerai sur Yggdrasil. Quant à Liesel… Je verrai. »

    Elle leva les yeux vers Cläre. La mère sourit. Son regard en disait long.

    « Yolagaar va nous emmener à Iceberg, indiquez-moi le chemin. »

    Peut-être qu’elle en profiterait pour s’occuper de Liesel plus tard.

    • • •


    « Liesel, reprends-toi ! »

    Des mètres et des mètres séparait Avel de l’albinos, distancé un peu plus chaque seconde par le mirage qui s’étirait. Comme piégé dans un cauchemar, plus il courait, plus le garçon à genoux s’éloignait. Comment le rattraper ?

    Les ténèbres avaient disparu. Autour de lui s’étalaient maintenant de grands lacs de lave. C’était la première fois qu’il en voyait. Mais l’heure n’était à l’émerveillement : de l’autre côté du plateau aux proportions incohérentes, Ysaline tenait son épée tendue vers Liesel. Il fallait qu’il fasse quelque chose…

    Courir ne servait à rien, et la lance qu’il jeta lui donna un vertige. Aussi loin que l’arme pût voler, elle l’éclaboussa en s’écrasant à ses pieds.

    Mais dans cet espace, les souvenirs régnaient, c’était bien cela ? Alors il pourrait peut-être manifester quelque chose qui pourrait le tirer de ce piège. Il posa son épée et s’assit à genoux. Son esprit essaya de se verrouiller sur un moment en particulier… Mais lequel ?

    Maili. Le sourire de sa sœur le fit sourire à son tour. Assis dans un champ de coquillages, Avel respirait l’air frais et humide. Et sa sœur était radieuse, devant l’océan parsemé de coraux lumineux et de la vie mystérieuse qui n’avait aucun secret pour les Poema.

    Taewe. Cette ville si fière. Ses filets de pêche, ses harpons, ses lumières… Puis le rêve fut distordu, la voix d’un vieil homme résonna dans son esprit.


    « Tu n’as pas le droit de quitter Taewe ! C’est contre nos principes ! »

    Non, il ne regrettait pas. C’était pour sa sœur. Il fallait qu’il sauve Liesel, c’était le seul moyen pour que quelqu’un vienne sauver Taewe… Sans lui…

     Plume.


    Un dôme de cristal était apparu au-dessus du volcan, reflétant les couleurs de la lave dans ses mille faces. Mais les éclats rouges s’estompèrent dans des nuances de violet quand un bruit sourd retentit, menaçant.

    Si personne ne l’aidait à sauver Taewe, alors la ville était condamnée !

    La bulle de verre se fissura et Avel ouvrit les yeux au son aigu qui résonna. Ysaline regarda en l’air, maintenant parée d’un capuchon. Son épée de flamme changea de forme, devint une lame de lumière et l’illusion de la Todella disparut, révélant sa créatrice à sa place, Plume.


    « Il a… interféré avec ma magie ?! Mais qui es-tu… »

    Une deuxième fissure apparut sur le dôme, qui menaçait de s’écrouler. Puis une troisième. L’ultime bri de verre fit céder la barrière, laissant s’abattre sur le volcan des tonnes d’eau.

    Avel se releva, à présent tout près de Liesel et se jeta sur lui pour le protéger du tsunami qui venait du ciel.

    Écrasés par l’océan tout entier, les deux garçons furent emportés contre la roche volcanique maintenant couverte d’algues. Le mage d’eau fit tout son possible pour leur éviter des blessures, mais il ne put prévoir les habitations englouties qui avaient poussé sous ce déluge.

    Abrités derrière un mur brisé, l’air revint doucement dans leurs poumons quand Liesel ouvrit les yeux. Et la voix d’Avel le rassura.


    « Je ne sais pas qui tu es, Liesel, ni ce que tu as fait par le passé… Mais ce combat est juste. Desdemona est un ennemi puissant, ne te laisse pas avoir par ses ruses !
    — Tu as raison… »

    De retour dans la bibliothèque intacte, Liesel se leva. Plume se tenait face à lui, essoufflée.

    — Pourquoi vos souvenirs sont-ils si liés… S’immerger dans la mémoire de Liesel, comment as-tu pu… Non… Vos fils… »

    Ses yeux brillèrent. Plume vit le cours du temps, la myriade de possibilité.

    Yggdrasil lui fit don de ce cadeau, elle put observer les nœuds du destin, prédits à partir du passé que l’arbre observait depuis des siècles. Elle connaissait les Hommes, ils étaient tellement prévisibles…

    Mais dans le tissu finement ouvragé de l’avenir, le fil de Liesel brillait, parfois mêlé avec celui d’Avel, parfois coupant celui de Nina et de ses camarades. Autant de chemins qui se nouaient au cœur d’une mosaïque unique dont le motif n’était que trop semblable à l’empreinte qu’Asgard avait laissée sur Humanitas.

    Devant cette vue unique, réservée aux Dieux, Plume ne ferma pas les paupières. Yggdrasil l’avait enfin choisie. Elle faisait d’elle son enfant.


    « Vous faites de moi… votre… prophétesse… »

    Mais l’âme de Plume s’évada, illumina le chemin qu’elle avait pris dans la trame du temps. Cette trame fut décousue. L’art de l’histoire s’écrivit alors devant elle et parmi les pièces du tableau, un vide.

    Elle comprit alors que cette pièce manquante avait été forgée par l’arbre. Un travail d’orfèvre dont le but était de montrer la voie à l’élu.

    Plume n’avait jamais existé.

    Elle n’était qu’un mirage, l’enfant directe mais illégitime d’Yggdrasil. Et elle le comprit.

    Le rouet rembobina jusqu’au moment présent. Sa corde s’étiolait.


    « Comment… me déconstruire… ici, maintenant ?! »

    Le corps de la jeune fille disparaissait lentement.

    « Non ! Je peux les vaincre ! Je leur montrerai la voie ! Je remplirai ma mission ! Yggdrasil, je suis assez forte je vous en prie ! »

    À ce stade des événements, plus aucune des prédictions ne témoignait de sa victoire. Les hérétiques allaient gagner. La prophétesse était devenue inutile.

    Devant elle, une grande lance de papier s’enroba d’eau. Le papier se gela. Le regard complice des deux garçons serra le cœur de Plume. Elle ne pouvait pas disparaître comme cela ! C’était impossible ! Yggdrasil la protégeait !

    L’épieu de glace se logea dans son cœur.

    Le fil du rouet céda.

    Elle ne cria pas. Plume resta immobile. Sa peau brillait en laissant s’échapper des petites lucioles dorées.


    « Yggdrasil a brisé son vœu d’impartialité. Il est temps de corriger cette insolence. »

    Liesel s’entoura de papier. Cachée dans son essaim, sa magie luisait. Les feuilles se disposaient autour de lui dans des motifs complexes. Les propriétés du papier changeaient, s’étiraient et se pliaient tout en déchirant les vêtements du garçon.

    « Nous ne pouvons subir plus longtemps. Il est temps que les Hommes reprennent les rennes de l’histoire ! Les Engelwald ont une nouvelle mission ! Et je les mènerai jusqu’à la victoire ! »

    Sur la lance de glace poussa des échardes immaculées qui se souillèrent de sang. La sage des Engelwald mourrait, mais leur nouveau chef naissait.

    La chrysalide s’ouvrit, révélant la cape qui ornait les épaules de l’albinos. Un capuchon similaire à celui que Plume portait.


    « Si tu m’entends, Yggdrasil… Je me nomme ta nouvelle plume ! Mais mon encre ne servira qu’à rayer tes complots ! »

     Liesel 2.0.


     Tribunal.


    La jeune fille ne devint que lumière et le calme revint lentement.

    La pression incroyable qui régnait dans la pièce ne se fit sentir que lorsqu’elle se leva. Les deux garçons soufflèrent longuement.


    « C’était vraiment nécessaire le truc de la cape ? taquina Avel.
    — Tu penses que j’en ai fait un peu trop ? »

    Ils s’échangèrent un sourire. Que ce fût le cas ou non, la détermination de Liesel restait inébranlable. Il avait fini par comprendre : Ysaline le haïssait, mais il n’était qu’un bouc émissaire, l’homme de main et le coupable d’Yggdrasil. S’il était sûrement trop tard pour rétablir la vérité, il ne l’était pas pour arrêter ces sacrifices.

    Il pensa à son père et à ses derniers mots. Il accomplirait cette mission, pour les Engelwald, pour les défunts et pour l’avenir.


    L’orbe de lumière qui trônait au centre de la salle se mit à luire. Il oscilla entre le doré et le noir par des reflets mauves. L’énergie dans la pièce augmenta, manifestant une puissante aura.

    « Cette magie, c’est… Avel, retourne à l’étage avec Mivard et Alkael !
    — Je ne vais pas t’abandonner !
    — Avel, ce n’est pas ton combat. J’ai simplement besoin que tu actives le verrou avec monsieur Drosin une fois qu’Yggdrasil sera dans le livre. Mmh, tiens, prends ça ! »

    Une feuille vola près de Liesel. Une lueur bleutée l’entoura puis elle se déchira proprement. Pliées en forme de personnage, les deux feuilles étaient identiques. Deux petits yeux apparurent sur les languettes qui imitaient une tête. L’un des deux bonhommes vola vers Avel, en le saluant avec son petit bras.

    Liesel ne pouvait s’empêcher d’arborer un grand sourire enfantin.


     Doppelt.


    « Ces deux personnages sont issus de la même feuille. Où qu’ils soient dans le monde, ils seront reliés, un peu comme… une poupée vaudou, ou une lacryma de communication.
    — Du coup… si je parle à l’un.
    — Si je parle à l’un, répéta le deuxième.
    — Exactement ! On pourra se parler. Grâce à ça je vous donnerai le signal. J’espère simplement que ça marchera, c’est la première fois que j’essaie… »

    Le livre de Mivard en contenait, des sorts inutiles, et Liesel était loin de se douter que ces jumeaux qu’il avait rebaptisés Doppelt serviraient dans une telle situation.

    « Sois prudent. »

    Avel s’en alla, tenant contre lui le petit avatar. Liesel, seul dans la grande bibliothèque face à la grosse lumière, inspira un grand coup.

    La bibliothèque se dévalisa pour renflouer ses stocks, même si Liesel s’en voulut un peu. Ce manteau qu’il s’était cousu serait bien pratique, les nombreuses poches à l’intérieur pouvaient contenir une grande quantité de papier compressé, sûrement assez pour mener une guerre. Et puisque le manteau lui-même était fait de papier, il ferait une bonne armure.


    « Tu y es, Liesel… La bataille finale… Espérons que notre plan fonctionne… »

    Il avança de quelques pas. Les filets éthérés l’enrobèrent jusqu’à ce qu’il disparaisse avec l’orbe. La bibliothèque était maintenant vide.

    De l’autre côté du portail : le Royaume d’Yggdrasil, le domaine où elle était omnipotente. Son combat contre Plume lui avait donné un petit aperçu de cette magie. Il était impossible de savoir s’il était à Desierto ou à Iceberg. Peut-être même une dans autre dimension. Il ignorait que c’était le cas.

    La forêt qui entourait Yggdrasil se trouvait sur le même plan que le Hvergelmir et ses Élivágars. Une dimension où les règles étaient différentes, l’espace pouvait s’emmêler et s’étirer.

    Liesel se souvint de ce que lui avait dit Desdemona. Il s’était nourrit de l’explosion du Hvergelmir pour devenir plus puissant et posséder le corps d’Amadeus. S’il avait ensuite fusionné avec l’arbre comme l’avait dit son père, alors il avait remonté une de ses racines jusqu’au cœur.

    Tant qu’Yggdrasil n’avait pas de corps à s’approprier, elle était piégée ici. Elle avait élu Liesel, mais il était hors de question que le garçon abandonne si près du but.


    « Avel, est-ce que ça fonctionne ?
    — Oui ! Je t’entends comme si tu étais juste à côté !
    — Parfait. Je suis dans la gueule du loup, j’ignore ce que font ma mère et Irina mais je vais m’approcher, tenez-vous prêt à activer le verrou. »

    La première fois qu’il était venu, il avait senti dans son cœur une puissante force qui l’attirait jusqu’à l’arbre. Ici, c’était l’inverse : chaque battement lui criait de s’en aller et d’abandonner, une sensation terrible qui le fit hésiter à chaque pas.

    Mais c’était la seule façon de mettre fin à ces morts, de se faire pardonner d’Ysaline.


    « Tu vas y arriver Liesel ! »

    Pour s’empêcher de douter, il se mit à courir. Autour de lui, des cerfs fantomatiques le regardaient d’un air curieux. Cette forêt de glace semblait tout à fait normale, à ceci près qu’il suffisait de se retourner pour qu’on se retrouve dans un endroit différent. Ce sentiment était la seule chose qui le guidait. Il ne fallait pas céder.

    Bientôt, ses peurs s’intensifièrent lorsque des voix tentèrent de le décourager. Sa mère qui lui murmurait à l’oreille qu’il n’était qu’un bon à rien. Ysaline qui continuait de répéter qu’il était un monstre. Même Mugetsu était apparu, disant qu’il était déçu par son absence à Æternitas.


    « Taisez-vous… Ce n’est pas réel, tu y es presque… »

    Liesel essaya de se rassurer : plus il avait envie de partir, plus il approchait. Mais si cette peur était fondée ? Leur plan ne marcherait jamais… Il n’avait pas l’étoffe d’un Ange… Si elle était divisée en huit fragments, c’était bien parce que deux n’étaient pas assez… Liesel s’arrêta. Il voulut se mettre à pleurer, à supplier cette entité de le laisser tranquille. Il voulut partir en courant. Peut-être même se laisser mourir.

    « Liesel, ta chienne arrête pas d’aboyer à ton papier ! »

    Alkael… Elle pouvait ressentir certaines choses que Liesel ressentait. C’était sans doute un encouragement.

    « Avel, je suis tout proche, mais… je doute.
    — Monsieur Drosin et moi sommes prêts. Il a d’ailleurs pu me confirmer que la fusée était à Bosco et qu’Irina était près de la pierre. Tu n’es pas seul ! »

    Oui, il n’était pas seul. Il repensa à ce qu’il avait promis au sommet du volcan. En répétant les mots d’Adam, il avait juré qu’il ferait de son mieux même si cela devait lui coûter la vie. Où était passé cette détermination ?

    Desdemona lui avait ri au nez en le traitant de naïf. Mais cette pourriture allait voir… Il avait déjà perdu à deux reprises, il ne restait qu’à lui porter le coup de grâce !

    Liesel serra les poings et respira quelques secondes. Il se remit en route.

    Une lumière violette brillait derrière les arbres au loin, mais la vue de celle-ci le terrifiait. Aucun doute, c’était bien là. Chaque pas était plus dur, mais il avait promis.

    Il voulait faire de ce monde un monde meilleur. Il avait abandonné la chasse aux mages noirs pour s’occuper de Desdemona. Après tout, c’était lié, c’était à cause du mal au cœur des Hommes qu’il était né. Sa cause était juste, il accomplirait sa mission !


    « J’y suis ! »

    Quand Yggdrasil se révéla enfin à ses yeux, toutes ses questions disparurent. Il se redressa et inspira l’air frais. Il se sentait si léger.

    Le corps virtuel d’Yggdrasil apparut devant lui.


    « Mon traitre d’élu… Es-tu venu te racheter ? Es-tu venu m’offrir ton corps ? S’il te plaît… Mes sceaux ont été brisés, je suis enfin libre ! J’ai besoin de ton corps pour arpenter le monde… »


    « Non. Je suis venu te défaire ! »

    Le grimoire scellé s’ouvrit. Les pièces dorées se placèrent en un grand cercle qui se mit à scintiller.

    Yggdrasil n’allait bien évidemment pas se laisser faire. Sa voix résonna, mêlée à celle de Desdemona.


    « TRAITRE ! TU SERAS PUNI ! »


    Le livre se chargea, mais la déesse fit pousser d’énormes ronces dans son dos. Le cercle magique qui la portait changea de couleur et devint rouge sanguin.

    Paniqué par cette transformation qui pouvait signer l’échec de sa mission, Liesel supplia le livre de s’ouvrir plus vite.

    Les ronces avaient pris l’apparence de quatre visages terrifiant et la jeune fille au centre se scella dans une fleur maudite.


     Yggdrasil.


     Desdemona.


    « Allez, allez c’est le moment ! »

    Le livre s’illumina enfin, éblouissant le garçon. L’arbre se para de blanc, et un tremblement vint ébranler ses racines. La machine à Desierto se mit en marche.

    Mais tout à coup, le spectacle cessa.

    Dans la gueule d’une des créatures de ronces, le livre était en miettes. Le premier plan était un échec.


    « N-… Non ! »

    « CES RUSES FUTILES NE FONCTIONNENT PAS, MORTEL ! »


    Un rugissement balaya Liesel contre un arbre.

    « Avel ! Elle a détruit le livre ! Elle a… ! »

    Paniqué, Liesel se releva. Ses jambes tremblaient devant l’entité surpuissante qui se dressait devant lui.

    « Liesel ! Tiens bon ! Tout n’est pas perdu ! »

    Une des gueules fonça vers Liesel, qui se jeta sur le côté pour esquiver. Mais un laser le propulsa contre un autre arbre. Il était évident que l’arbre se retenait. Pourquoi ?

    « Je ne suis pas de taille ! Je ne vais jamais…
    — Où est passé ta détermination ! Les héros des légendes gagnent toujours ! »

    Oui… Même si la défaite était pourtant assurée, il fallait qu’il fasse de son mieux. Il fronça les sourcils et se reconcentra sur l’ennemie. Il pouvait gagner du temps.

    Il courut vers Yggdasil en créant deux clones identiques.

    Cette ruse ne fonctionna pas et les crocs d’un des dragons de lianes s’abattirent sur un bouclier de papier. Le vrai Liesel était immobilisé, mais les deux clones filèrent à toute vitesse vers l’adversaire.

    Leurs bras furent remplacés par des lames qui déchiquetèrent la tête qui attaquait Liesel.


    « Gaë Bolga ! »

    L’albinos ordonna à ses pantins de fusionner. Ils prirent la forme d’une lance qui cloua la gueule végétale au sol.

    Le garçon grimpa sur celle-ci, suivi par plusieurs lances plus fines. Le point faible devait être la fille. Il sauta, arme à la main, vers celle-ci.

    Mais un des dragons propulsa Liesel dans les airs. Plusieurs cercles magiques apparurent dans le ciel, d’où sortirent des rapaces enflammés qu’il ne put esquiver.


    « Encore mes souvenirs ! »

    Son élévation finit par ralentir et il commença à chuter, la gueule d’un dragon grande ouverte en dessous.

    « J’ai juré de me battre jusqu’au bout ! Flügel ! »

    L’Engelwald écarta les bras, immobilisé dans les airs. Une paire d’ailes immaculées poussa, aux plumes albes et rectangulaires. Il ouvrit les yeux, un sourire de fierté sur le visage. Il n’allait pas abandonner !

    D’un battement d’ailes il descendit. Il tourna autour d’Yggdrasil, jetant des centaines de projectiles perforants sur ses monstres végétaux.


    « L’arrogance des mortels ne connaît donc pas de limite ?! »


    Les attaques de Liesel ne lui faisaient rien. Dès qu’une feuille approchait, une liane poussait et la bloquait, qu’importait leur nombre. Yggdrasil s’était rapidement transformée en une fleur de tentacules.

    La fille endormie au centre leva le bras et des œufs d’eau apparurent. Ils prirent la forme de requin et forcèrent vers Liesel.

    Il s’envola plus haut pour fuir. Poursuivi par des ronces noires, il continua sa course autour de l’arbre géant tout en jetant des shurikens sur ces lianes. Les requins de le lâchaient pas ! Il fallait qu’il trouve autre chose, mais l’eau était son point faible… À moins de l’utiliser contre elle !

    Liesel créa deux orbes qu’il jeta sur les deux monstres aquatiques. Suffisamment résistant pour ne pas être déchiré, le papier absorba tout le liquide, rendant les deux orbes beaucoup plus lourds. Des pics poussèrent et une chaîne se déroula jusqu’aux bras de Liesel, créant deux fléaux que le garçon traina difficilement jusqu’à son adversaire.

    Les ailes avaient du mal à porter autant de poids. Mais si l’une des deux armes avait été réduite en miettes par des lames de vents, la deuxième avait broyé le visage d’un des trois monstres avec succès !

    Les deux restantes rugirent et de nouveaux cercles magiques tirèrent des oiseaux de feu sur Liesel.


    « Encore ? »

    Cette fois-ci, hors de question de perdre son temps à tourner en rond. Ses ailes commençaient à siphonner ses réserves de magie. Liesel les fit battre afin de se rapprocher de son ennemie tout en slalomant entre les flammes.

    À hauteur de la fille, une salve de flèches embrasèrent foncèrent sur lui. Les ailes se décrochèrent aussitôt, formant un globe parfait autour de l’albinos.


    « Nifelheim ! »

    La sphère se gela. Liesel fut protégé. Mouillé, le papier était maintenant inutile. Mais Yggdrasil refusa qu’on utilise sa propre magie contre elle : dans l’instant qui suivit les flammes, un éclair noir concentré s’abattit sur Liesel, trempé par la glace fondue. Son sort se dissipa et il tomba au sol, sonné.

    Allongé, il lutta pour ne pas perdre connaissance. Ses muscles ne faisaient même pas mal, toute activité nerveuse semblait s’être arrêtée. Il se mit à genoux doucement, engourdi.

    L’adversaire en profita pour invoquer la neige de Cläre : un tourbillon glacé le fit prisonnier. Un monstre végétal vint briser cette cage en broyant les côtes du garçon entre ses crocs. Jeté au loin comme un vulgaire morceau d’os, Liesel roula par terre et cracha du sang.

    À la merci de l’entité, il ne put se relever à temps pour éviter le rayon d’énergie qui le cloua à un arbre. Piégé au cœur de cette attaque, il n’avait plus la force de se battre, la douleur était si forte que ses yeux se révulsaient.

    Il s’écrasa par terre.


    « Les mortels sont d’une telle arrogance. Asgard avait tort de les tenir en haute estime. »


    Il ne pouvait pas perdre si vite… S’il perdait… Humanitas…

    Yggdrasil, ou plutôt son jumeau maudit, se délecta de cette vue, un mortel écrasé par l’orgueil. En flottant sans effort, elle s’approcha du corps battu du garçon.


    « Mais maintenant que tu es à moi, je vais pouvoir renaître ! »


    Entouré par de nombreuses runes, l’albinos inconscient se mit à léviter.

    De nouvelles runes apparurent autour de la fille. Le transfert d’âme était imminent, Yggdrasil allait renaître !

    Mais une voix l’interrompit.


    « BLÜTENWEIß ALBTRAUM !!! »

    Les arêtes d’un cristal se dessinèrent entre Liesel et son ennemie. Tranchante comme du verre brisé, la lame de Cläre déchiqueta les deux derniers monstres de lianes et libéra le garçon de l’emprise de la déesse.

    La mère était enfin là. Debout devant son fils, elle tenait fermement son épée.


    « Je ne te laisserai pas faire ! »

    « Qui est tu, mortelle, pour échapper à mon regard omniscient ?! »


    « Le sacrifice de mon mari ne sera pas vain ! »

    Légère comme un flocon dans le blizzard, elle fondit sur l’ennemie, l’arme à la main. Dépourvue de ses gardiens de ronces, Yggdrasil n’avait que la magie pour se battre. Ainsi elle invoqua le lion blanc, le gardien de Némée.

    « C’est… ! »

    La Leoni le reconnut de suite et évita ses griffes en glissant sous son corps. Sa rapière déchira son ventre, mais l’épaisse fourrure de la bête le protégea.

    À nouveau debout derrière la créature, elle fut paralysée par son rugissement glacial.


    « Cette bestiole est t-ARGH ! »

    La patte du lion brisa son armure et balaya la mère contre le garçon. Il était rapide… Sur son flanc s’était ouverte une plaie béante, mais le sang froid de la mage ralentit l’hémorragie en coagulant rapidement. Elle planta son épée dans le sol pour s’appuyer et pris une seconde pour respirer.

    « Il faut qu’Irina… »

    À Bosco, le cercle magique qu’elle avait laissé commença à scintiller. Le ciel se couvrit d’une pellicule duveteuse et la neige tomba calmement sur la pierre d’Elpída.

    « Le signal ! Ça veut dire que Liesel a échoué… »

    Irina se rua près de la pierre et tendit les deux mains en avant. Il lui suffisait d’absorber la forêt des anges dans le cristal. Elle repensa à Ilhem et hésita une seconde.

    « Je suis désolée, je n’ai pas le choix… »

    Des volutes de lumière verte apparurent autour d’elle et tourbillonnèrent en direction de la pierre. Cette fois-ci, Yggdrasil ne pouvait rien faire !

    « ARGH ! »

    Cläre vola à travers la forêt. À peine toucha-t-elle le sol qu’une salve d’éclairs obsidiennes s’abattirent sur elle, lui arrachant un cri de douleur. Déterminée, elle se releva, fragilisée par l’attaque. Mais elle ne put même pas prendre sa pose de combat qu’un grand rapace de flammes plongea contre elle pour exploser.

    Malgré ses blessures bientôt mortelles, la mère se releva, la pensée de Liesel la maintiendrait en vie ! Elle tituba vers l’adversaire, entourée de flocons. Yggdrasil ricana et l’image d’Oswald apparut devant. Le lion de Némée vint à ses côtés.


    « Tu ne m’auras pas… avec tes illusion… je ne regrette pas d’avoir quitté… mon clan ! »

    Mais le Leoni n’en avait que faire, et la flèche qu’il tira se logea directement dans l’épaule de Cläre, puis une autre dans sa jambe. Elle s’écroula à genoux.

    Elle était trop puissante… Comment une poignée de mages pouvaient-ils avoir une chance contre ce qui allait bientôt devenir une déesse… Si elle échouait, alors Liesel… Il fallait qu’elle honore son serment, le plus important, il fallait qu’elle se relève et qu’elle le protège !

    Elle leva la tête.

    Les griffes du lion lui arrachèrent une partie du visage. Sa bouche ne put même pas exprimer sa douleur. La larme salée qu’elle pleura coula dans sa plaie, signant la dernière sensation qu’elle vivrait, sous le regard désapprobateur de son frère.

    Le cercle magique près d’Irina se brisa.

    La magicienne se figea. Si le cercle était brisé, cela voulait dire que… Ils avaient tous les deux échoué ?



    Fiche de RP (c) Miss Yellow

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    Re: Midgard par Liesel Engelwald Ven 02 Aoû 2019, 14:52
    Liesel Engelwald
    Liesel Engelwald
    Gardien du Savoir







    Midgard 190802020745706508
    Midgard

    Partie II – Destinée (2/2)



     Perdus.


    « ASSEZ ! »

    La voix d’Ysaline résonna et figea toute la scène. Elle avait enfin pris sa décision. Assombrie par de grandes flammes sanguines derrière elle, son regard effraya même l’entité.

    « DESDEMONA ! »

    Son cri commanda le feu et la forêt de glace s’embrasa. Le domaine d’Yggdrasil fut piégé dans un tourbillon de flammes ancestrales. Sous le crépitement célébratoire, la cité de Jöltereg s’éleva. Yggdrasil se souvint de la guerre menée par Asgard et ses filles. Les échos de cette guerre oubliée résonnaient dans le sanctuaire ravagé. Dans ce nouveau décor, les vestiges de cette civilisation observaient avec attention la bataille.

    Ysaline se tenait droite. Elle n’osa pas regarder Liesel et préféra jeter de grandes flèches de feu sur Yggdrasil, qui réprima un cri de douleur.


    « Mer…ci… »

    À peine consciente, Cläre ne pouvait être que reconnaissante. Yolagaar et un oiseau identique volèrent jusqu’à eux pour les transporter à l’abri. Le plan initial avait échoué et Irina était en panique, ne sachant que faire. Mais Ysaline était là et avec la source du feu en elle, elle pourrait enfin se venger de ce qu’avait commis Desdemona !

    Si elle souhaitait toujours voir Liesel mort, hors de question que quelqu’un lui retire le privilège de le tuer elle-même !


    « Comment ?! Une mortelle me tient tête ?! »


    Les flammes aux pieds de la pyromancienne dansèrent et se lovèrent en un grand rapace qui plongea sur Yggdrasil. La détonation qui en suivit ne couvrit pas le cri de douleur de la déesse.

    Jetée en arrière, l’entité était furieuse. La fille prisonnière de la fleur ouvrit enfin les yeux. La première création d’Asgard avait fini de s’amuser.


    « J’ai vu l’Histoire ! J’ai vu le grand raz-de-marée de Mua-Tawhiti ! »


    La terre se mit à gronder et l’incendie fut décoré par des coraux lumineux. Au loin, un bruit sourd résonnait.

    Ysaline, toujours immobile, envoya une nouvelle salve de bombes vers Yggdrasil.

    Mais derrière l’Arbre, le ciel bleu s’afficha au-dessus des flammes, et derrière celle-ci, une énorme vague s’éleva.

    Le grand raz-de-marée de Mua-Tawhiti déferlait à nouveau sur les côtés d’Enca. L’illusion semblait trop réelle pour ne pas être menaçante, aussi Ysaline s’envola grâce à des ailes de feu, jetant de nouvelles attaques sur Yggdrasil qui disparut dans l’océan.


    « Tu as peur d’une simple mortelle ? »

    La pyromancienne écarta les bras et les fit tourner. Un disque de flamme se forma devant elle.

    « SICCATUM AEQUOR ! »

    Applaudie par les crépitements de l’incendie caché sous l’océan, Ysaline fit déferler un rayon de feu au cœur de l’eau. Le reflet bleu sur la surface devint pourpre jusqu’à complètement disparaître dans un bruit assourdissant. Asséchée, cette mer illusoire disparut.

    Yggdrasil ne put s’étonner qu’Ysaline fût déjà au corps à corps, la paume posée sur le front de la jeune fille pour la marquer au fer. La pyromane ne put réprimander son sourire quand le hurlement de la déesse lui vrilla les tympans.

    Mais sentant toujours la force oppressante de Desdemona régner, elle comprit que cet avatar n’était rien de plus qu’une illusion.


    « Peut-être dois-je choisir une forme qui sied mieux à ce combat… »


    L’arbre au cœur du sanctuaire réapparu scintilla et une silhouette tout à fait humaine se manifesta. Elle marchait tranquillement.

    « Tu n’as pas osé… »

    L’ombre fit sortir deux ailes noires. Desdemona pouvait bien parler de l’arrogance des humains… Entouré d’une aura de ténèbres, l’homme se révéla enfin.

     Cauchemar.


     Bataille.


    « Comment oses-tu… »

    Même soutenue par ses ailes de feu, Ysaline put percevoir le regard lubrique que lui lança l’homme. Elle resta paralysée. Il était là, le visage qu’elle souhaite voire souffrir le plus au monde. Amadeus.

    L’homme disparut et Ysaline sentit un pied frapper son abdomen avec une force incroyable. Les flammes qui ornaient son dos disparurent et elle tomba. Mais Amadeus était déjà plus bas, invoquant des oiseaux noirs qui traversèrent la pyromancienne en emportant un peu de son souffle vital.

    Il réceptionna Ysaline dans sa chute de manière tout à fait galante, avant de se téléporter au-dessus d’elle pour écraser sa tête contre le sol. Abattue, Ysaline ne pouvait traverser cette épreuve une seconde fois, c’était au-dessus de ses forces…


    « Yolagaar… Je t’en prie… »

    Le rapace lâcha Liesel qu’il tenait par le col et vola au secours de sa maîtresse. L’albinos tomba au pied de l’arbre.

    La taille du familier fut multipliée, puisant dans ses ressources sacrées. Un souffle ardent balaya la forêt. Mais ce tourbillon cessa net quand le démon attrapa la créature par le cou, la jetant plus loin. Une flèche de ténèbres se logea dans le corps de l’oiseau, qui tomba en perdant ses plumes.

    Ysaline s’était relevée.


    « Avec la source… Je vaincrai ! »

    Amadeus se téléporta à nouveau près d’elle et fit filer son poing pour frapper son visage. Mais la jeune fille para avec sa paume. Sa peau se solidifia, comme de la lave séchée et le gant d’Amadeus fumait.

    Plus qu’un duel de force, c’était un duel de regard qui se jouait entre les deux nobles. Face à son pire cauchemar, Ysaline tenait toujours debout, toute aussi déterminée à le réduire en cendre.

    Et c’est en voyant la surprise d’Amadeus qu’elle put sourire. Sa main se resserrait sur le poing de l’homme. Ses phalanges qui craquaient et le bruit de sa peau bouillante étaient ce qu’elle avait voulu entendre depuis ce moment.

    Malgré la douleur qu’il feignit ne pas ressentir, le noble se pencha près de l’oreille de la Todella.


    « Nidus Anhingidae. »

    Avant qu’elle ne s’en rende compte, Ysaline était pigée dans un nid de serpents délétères. Brûler son adversaire ou se faire dévorer par des reptiles ténébreux… La vengeance de la jeune fille se voulait totale, aussi elle serra plus encore sa main, réduisant celle d’Amadeus à un tas d’os broyés et noircis.

    En retour, ses jambes nécrosaient au contact des serpents ailés. Mais si c’était le prix à payer…


    « Incineratio. »

    À ces mots, l’homme prit feu, dévorant une petite partie de Desdemona. En quelques secondes seulement, l’illusion se dissipa en laissant tomber quelques cendres. Mais lorsqu’Ysaline voulut se retourner pour faire face à l’arbre, elle trébucha.

    Elle reconnut parfaitement la noirceur autour de la blessure que lui avait infligée Helen, le mal qui l’avait infectée… Le Malesla… S’il ne se dissipait pas, cela voulait dire que Desdemona était toujours vivant.

    La lumière qui émanait toujours de l’Arbre ne pouvait qu’en témoigner et la puissance presque intacte qui flottait dans l’air également. Malgré tous ces combats et la Source du Feu, Yggdrasil était presque intacte… Yolagaar, blessé, se posa sur son épaule.

    À quoi servait ce combat, au juste ? Tous ces combats n’avaient servi qu’à faire la gloire de cette création corrompue. Ils étaient impuissants. Même avec une arme antique conçue pour défaire cet ennemi, Ysaline restait impuissante face à son destin…

    C’était réellement cet arbre qui lui avait imposée cette vie de malheurs, pas Liesel. Malgré sa colère toujours dirigée envers lui, elle en prenait conscience alors qu’elle restait à genoux.

    Juste à côté de lui, elle le regarda enfin. Lui aussi, il s’était tant battu…


    « Ys…a…
    — Liesel… Je suis désolée… nous avons perdu… Desdemona est…
    — Non… Il reste… ta… vengeance… Si… J’accepte… »

    Sa vengeance ? Non, c’était trop tard…

    • • •


     Défaite.


    Au pied de la pierre d’Elpída, Irina brillait d’une lumière intense.

    « Cette aura… Je la sens d’ici… Le Malesla ! Il m’a pris Ilhem, mais cette fois-ci je le combattrai ! »

    Elle s’en voulut d’avoir fui. À cause de sa faiblesse, Ilhem avait disparu… Mais elle ne ferait pas la même erreur une nouvelle fois. Sa magie pouvait accomplir des miracles, et c’était précisément ce qu’elle allait faire !

    « S’il reste une once de vie en vous… Liesel, Cläre, Ysaline… Je sais que vous pouvez le faire ! Et si je dois me sacrifier, qu’il en soit ainsi ! »

    Un rayon de lumière empala le ciel nuageux. Le soleil vint baigner le visage de la magicienne. Des dizaines de runes se gravèrent autour de la jeune fille et plusieurs cristaux verts l’entourèrent. La roche sur son corps remonta le long de son visage et couvrit ses mains. Ce sort signait la fin.

    Quatre symboles se gravèrent sur le grand cristal alors qu’elle dictait leur nom.


    « Yod… Hé… Waw… Hé… »

    De grands cercles magiques se dessinèrent et des géométries complexes luisaient tout autour d’elle. La forêt se tut.

    Dans le silence le plus totale, la voix d’Irina fit trembler les cieux.


    « ADONAÏ ! »

    Une colonne d’énergie s’éleva à travers le firmament et traversa l’espace pour frapper les trois guerriers dans la forêt des anges. Baignés de cette lumière divine, les blessures des Engelwald et d’Ysaline se refermèrent lentement alors que leur énergie se restaurait. Ils se levèrent et Liesel serra les poings.

    « Ysaline ! Si j’offre mon corps à Yggdrasil, tu n’auras qu’à…
    — Non, tu ne veux quand même pas…

    Le garçon s’approcha et toucha l’écorce de l’arbre sacré. Il retenait ses larmes. Il espérait que cela fonctionne. C’était le seul moyen…

    « YGGDRASIL ! J’accepte ! J’accepte de devenir… MIDGARD ! »

    Ses pupilles s’effacèrent. Il vit se nouer devant lui les myriades de tresses que l’humanité tissait inlassablement. Offrant son pouvoir divin à une enveloppe charnelle, les feuilles de l’arbre perdirent leur éclat, et l’aura de Liesel s’intensifia. Dans son dernier fragment de lucidité, il se retourna vers son amie.

    « YSALINE ! »

    Elle n’avait pas le choix.

    Son épée en main, elle courut vers son ami en hurlant. Elle ne voulait pas… Elle ne voulait plus… Pas comme ça… Mais elle planta l’épée dans le corps du garçon, et elle hurlait, comme pour se donner la force. La terre trembla et les flammes de la Source du Feu surgirent de la lame, dévorant le nouveau corps d’Yggdrasil atome par atome, détruisant la puissance désormais piégée dans cette enveloppe si fragile.

    Ysaline détournait le regard pour ne pas montrer ses larmes, mais Liesel les vit malgré la douleur incommensurable qui le rongeait. C’était un sacrifice nécessaire.

    Il l’avait juré, lorsqu’il avait rejoint Æternitas… Il était prêt à donner sa vie… Mais voyant la mort de si près, la voir porter le visage de celle avec qui il avait commencé le voyage, il ne put retenir une larme de regret…

    Son corps se dissipa et se consuma, comme un livre dans un feu de cheminée.

    La forêt des anges perdit sa lumière alors que les illusions se distordaient. La bataille était terminée… Quand les lieux furent entourés de ténèbres, la douce lumière de Neferet les accueillit, dans la bibliothèque.

    Cläre était immobile. Elle fixait la fenêtre pour s’éblouir, pour ne pas voir la vérité, mais elle était trop crue. Son fils… Elle avait failli à le protéger… Elle avait tout perdu…

    Ysaline éclata en sanglot. Sa vengeance était maintenant accomplie. Mais elle était si amère… Avec ses seules mains pour cacher son visage, les stigmates de le honte se lisaient dans sa posture frêle.

    L’ennemi était battu, mais les sacrifices étaient trop grands…


    • • •


     Après la guerre.


    Après ce combat terrible, Cläre était retournée à Bosco. Les heures de voyages avaient paru une éternité. Elle n’avait pas décroché un mot et ce n’est qu’en ouvrant la porte de la tour qu’elle craqua. Ce salon autrefois si animé… L’odeur d’Eyrick sur le fauteuil… Les cartes auxquelles elle jouait avec Liesel avant de partir… C’était trop. Elle s’écroula sur le pas de la porte. Elle supplia le ciel de les lui rendre. Mais le ciel ne répondait pas.

    Ysaline n’avait nulle part où aller. Elle passa plusieurs heures assise dans un coin de la bibliothèque à pleurer et s’en vouloir. Elle n’avait jamais voulu ça ! Elle voulait juste une vie normale ! Une vie avec des parents qui l’aimaient, des amis soudés et des aventures palpitantes… Elle n’avait jamais désiré tous ces sacrifices… Yolagaar restait près d’elle, mais elle refusait de le regarder. Sans ce maudit rapace, elle n’aurait jamais entrepris son voyage jusqu’à la source du feu…

    Recroquevillée sur elle-même, elle se faisait battre par les images de ses camarades… Xylia, Adam, Ilhem, Irina, Liesel… Ils étaient tous partis, elle était toute seule à présent… Elle avait portant dit que la solitude ne la dérangerait plus, mais c’était si faux…

    Mivard fut très touché de cette disparition. Liesel était son apprenti, et quand bien même il ne le voyait que rarement, ils s’étaient battus ensembles pour libérer la cité de Neferet… Il s’occuperait d’Alkael, c’était la moindre des choses.

    À Bosco, la statue d’Irina reposait au pied de la pierre d’Elpída. Après avoir cherché à fuir toute sa vie ce cristal, elle y était retournée pour cet ultime bataille. Peut-être sa conscience subsistait-elle dans cette statue gracieuse… Mais la végétation aussi transformée en jade empêcherait tout être humain de vérifier à l’avenir.

    Avel avait pleuré ses deux camarades lui aussi. Il allait sûrement rentrer à Taewe… Il savait bien que le village ne l’accueillerait pas, et il ne se sentait pas de demander de l’aide, il n’avait même plus la tête à se battre. Il fut surpris de constater qu’il possédait assez d’argent pour prendre un aéronef jusqu’à Enca. Il détestait la capitale, et rien que de penser à cette vie foisonnante le déprimait.

    Les héros des légendes trouvaient toujours une solution, mais les légendes étaient parfois tristes. Dans le vaisseau, le garçon ne pouvait s’empêcher de caresser le petit bonhomme de papier que Liesel lui avait offert. Où qu’ils fussent dans le monde, ils seraient toujours reliés… Il n’avait rien pour honorer la mémoire d’Irina, mais il avait au moins ça.

    Il sourit en fixant les yeux sur la languette. Il espérait qu’il s’anime et que Liesel fasse son apparition.


    « Av… »

    Il sursauta. Il venait bien d’entendre quelque chose ?! Il n’était pas fou ?! Il porta le papier à son oreille et une voix distante lui parvint, indiscernable.

    C’était sûrement un phénomène magique… Ou alors Liesel était vivant ! Si l’autre pouvait envoyer un son, cela voulait bien dire que Liesel était encore en vie pour maintenir l’enchantement actif ! Il fallait qu’il vérifie !

    Et puis, Plume avait bien dit que leur futur était lié ? Ca sous-entendait que Liesel avait bel un bien un futur ! Il était forcément vivant ! Si le clan de Liesel était chargé de garder Yggdrasil et qu’il venait d’Iceberg, l’arbre ne pouvait être que là-bas !

    C’est ainsi qu’Avel partit pour Iceberg, une région qu’il n’avait jamais explorée. Il ne le connaissait pas vraiment, ce Liesel, mais s’il pouvait être sauvé, c’était à lui de donner le maximum ! Après avoir combattu à ses côtés, il voulait simplement lui faire visiter Taewe…



    Fin de l’Acte « Yggdrasil ».



    Fiche de RP (c) Miss Yellow

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